L’aigle et le chamois

Dans la Drôme, pour un passionné de faune, impossible de se contenter du « petit aigle des campagnes » quand on sait que là-haut, sur un flanc de falaise, vit le « grand aigle des montagnes » ! Avec une envergure qui peut dépasser les 2 mètres, l’aigle royal est tout simplement deux fois plus imposant que la buse variable. Il est aussi extrêmement moins commun… c’est ce qui rend la quête photographique autrement plus stimulante !

Entendez-moi bien : je serai toujours ému de croiser la route d’une buse, qu’elle pose sur un piquet au bord d’un champ ou qu’elle plane en cercle au dessus de moi un beau jour de printemps. Mais la rareté et la majestuosité de l’aigle royal font qu’on atteint tout de même un autre degré d’émotion 🙂 Pour moi, cet oiseau est synonyme de paysages montagneux sauvages et préservés. De fait, les rares fois où j’ai eu le bonheur de voir ces immenses rapaces, cela a toujours été dans une nature calme, pleine et authentique, et après un bel effort de randonnée.

A part une brève et furtive apparition au milieu de l’embrasement automnal d’une forêt de mélèzes, dans les Alpes italiennes, c’est exclusivement dans la Drôme que j’ai pu observer ce graal ailé. Et dans un secteur peu connu des randonneurs, qui se mérite après une bonne heure d’ascension.

Bien entendu, les aigles n’arrivent pas sur commande : il faut, comme toujours avec la faune sauvage, avoir de la chance et de la patience ! Mais c’est ce qui rend ces moments si intenses et inoubliables… Je vais vous en raconter quelques uns 🙂

Ma première observation se passe le 23 février 2019. La journée est calme et très ensoleillée. Nous grimpons depuis presque une heure, et l’appareil photo que je tiens entre les mains n’a pas encore servi une seule fois. Mais il suffit justement d’une fois ! Quand on fait de la rando, pour espérer prendre des animaux en photo, il faut être prêt à dégainer à tout moment. Et c’est précisément ce que j’ai pu faire, à 15h29 précisément, lorsque mon amie a regardé le ciel et m’a dit « mais c’est quoi ce rapace ! », je n’ai qu’une poignée de secondes pour le viser avant qu’il ne disparaisse derrière les arbres : un magnifique aigle royal file droit au dessus de nous, sans changer de trajectoire en nous voyant. Superbe !

Nous ne le reverrons plus du reste de la randonnée. 3 heures de marche pour 3 secondes de bonheur !

Ma deuxième observation, c’était le 8 septembre de la même année. C’est la fin de l’été mais il fait encore très chaud, je décide donc de me lever aux aurores pour faire l’ascension à la fraîche. Après 30 minutes de marche, je mets un coup de jumelles sur les rochers, à ma gauche, car il me semble voir quelque chose qui se détache du ciel. En effet ! Un aigle, posé tranquillement, semble guetter les éventuels intrus qui s’aventureraient sur son territoire…

Il me laisse le photographier sans broncher, suite à quoi je poursuis ma montée jusqu’à une vue plus dégagée. 40 minutes plus tard, je suis quasiment au même endroit qu’en février, et je refais presque la même photo !

Le ciel est toujours aussi bleu, mais l’éclairage n’est pas le même. Il n’est que 9h du matin après tout. Je continue mon ascension jusqu’à une petite prairie, où je me pose pour boire un thé. L’appareil photo est au sol, à portée de main au cas où… Bien m’en a pris : revoilà l’aigle ! Il m’offre cette fois une superbe occasion de photographier ses ailes bien éclairées, et surtout cette barre blanche sur la queue : c’est un aigle juvénile ! Sans doute de l’année précédente.

© Oeil Sauvage / Richard Holding

La photo manque de netteté, mais c’est toujours plus intéressant, je trouve, de parvenir à cadrer un peu de fond autre qu’un ciel bien uniforme. Je suis le jeune aigle quelques instants à travers le viseur, jusqu’à ce qu’il passe devant la falaise, où là j’ai bien plus de mal à le photographier.

En redescendant dans la vallée, je croise des colchiques, des chardons bleus, différents papillons, un gobemouche noir, un faucon crécerelle et… un chamois.

© Oeil Sauvage / Richard Holding

Oui, le chamois ! Mais quel lien avec l’aigle me direz-vous ? Aucun, du moins… aucun ce jour-là 😉 Pour la fable de l’aigle et du chamois, il faut attendre l’arrivée de l’automne, deux mois plus tard.

Très heureux de mes observations de l’aigle juvénile en septembre, je suis en effet remonté au même spot un jour de novembre. Sur la crète où j’avais observé l’aigle, cette fois pas d’oiseau mais… un chamois ! Cette journée s’annonce prometteuse…

Une heure et demie plus tard, j’arrive au point culminant où je m’arrête manger mon sandwich. Bien entendu, l’appareil photo est en veille, juste à côté de moi, au cas où… Mais cette fois, ce n’est pas un aigle qui surgit de nulle part sans prévenir, c’est un autre géant du ciel : le vautour fauve !

Je m’attends à ce qu’il y en ait d’autres qui passent, car un vautour tout seul ce n’est pas très commun, mais non : aucun autre ne passera. Pas grave, j’ai au moins une photo réussie sur la petite rafale que je parviens à faire en catastrophe !

L’après-midi n’en est qu’à ses débuts et suite à cette petite rencontre bien sympathique, je me trouve un petit coin d’affut avec une bonne vue dégagée, pour attendre l’arrivée (éventuelle !) d’un aigle royal (ou autre chose…). C’est vraiment mon jour de chance, puisque une heure plus tard, l’aigle juvénile croisé en septembre me gratifie une nouvelle fois de sa présence. Cette fois-ci, je parviens à faire des photos plus nettes, dans un ciel bleu mais légèrement voilé par endroits, avec des vapeurs un peu rosâtres.

Il m’observe du coin de l’oeil ! Mais il ne s’offre pas seulement en spectacle sur fond de ciel bleu. Le voilà qui redescend un peu vers la forêt.

Super ! Me dis-je. C’est le moment de mettre l’appareil photo à l’épreuve, car dès qu’il y d’autres éléments perturbateurs dans le cadre, il peut perdre le suivi du sujet et faire la mise au point sur… un arbre, ou un rocher.

Il s’en sort plutôt bien ! Nous sommes à l’automne, et il y a quelques arbres qui ont changé de couleur. Je suis complètement aux anges : je suis le seul être humain dans cet endroit sauvage et silencieux, et j’ai devant moi ce magnifique rapace, et un outil technologique formidable pour me permettre de l’immortaliser.

L’aigle finit par remonter, et se retourner sur fond de ciel bleu. Il est vraiment très proche de moi ! A ce stade il rentre à peine dans le viseur… Je ne suis pas certain que les aigles adultes voleraient si près que ça des humains, en tout cas j’en prends littéralement plein les yeux !

Il est désormais 16h, et je me fais doucement à l’idée de devoir quitter mon petit nuage pour regagner l’obscurité de la vallée. Je prends toutefois mon temps pour redescendre, car la lumière devient vraiment belle avec le soleil déclinant. Et que surtout : je revois le chamois !

De sa position stratégique, il domine son territoire. Debout, bien ancré sur ses quatre puissantes pattes, il semble contempler comme moi le déclin du jour. Mais attendez… Qu’est-ce donc que cette silhouette étrange, à quelques mètres de lui sur sa droite ? Il me semble que je rêve, mais non : c’est un aigle !! A côté du chamois, il a l’air sacrément immense !

L’aigle et le chamois sont très loin de moi, mais avec le soleil rasant qui illumine l’arrière-plan, leurs formes qui se détachent de la crète, j’ai tous les ingrédients réunis pour une photo extraordinaire. Surtout qu’à un moment donné, aigle et chamois se sont fixés du regard, comme pour se jauger… Le chamois, vu son poids, n’a pas trop à craindre, mais il sait que l’aigle est un redoutable prédateur, et qu’il profitera du moindre moment de faiblesse de sa part.

Je reste ébloui une minute entière devant ce spectacle exceptionnel, mais à vrai dire, des moments comme celui-ci sont tellement émouvants qu’ils échappent au temps ! Il est 17h passé quand je regagne ma voiture. J’ai la tête pleine d’images inoubliables ! Que la nature libre et sauvage est belle et pleine de richesses…

Pour finir cette histoire, voici deux photos bonus, réalisées un an plus tard sur la même crète, mais pas le même jour 🙂

© Oeil Sauvage / Richard Holding

Le chamois a maintenant… 6 pattes !

© Oeil Sauvage / Richard Holding

… et l’aigle est toujours aussi… royal ! Mais est-ce que ce sont là exactement les mêmes individus qu’en 2019 ? Difficile à dire… 😉

A lire aussi : « Sa Majesté du Glandasse« , décembre 2022

Les émotions ça se partage !

8 thoughts on “L’aigle et le chamois

  1. Odile says:

    Merci 🙏🏼 Richard ! J’ai toujours autant de plaisir à lire tes aventures naturalistes… surtout en ces temps où notre rayon d’action est si restreint. Bravo pour tes merveilleuses photos ! Et que la Drôme est belle, qui permet tant de découvertes !

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