Le petit aigle des campagnes

Qui ne l’a jamais vue, perchée à découvert au bord d’une route, sur la branche d’un arbre mort, d’un piquet de clôture ou d’un poteau téléphonique ? La buse variable est sans doute, avec le faucon crécerelle, le rapace diurne le mieux représenté dans les milieux ouverts à la campagne (champs, prairies, bosquets, marais, etc.).

Avec ses 130 cm d’envergure, sa queue en éventail, son vol plané circulaire, la buse variable n’a pas volé son surnom de petit aigle des campagnes ! C’est assez réjouissant, je trouve, de se dire que dans les régions où l’aigle royal manque à l’appel, les habitants ont malgré tout leur petit aigle à eux 🙂 Il est certes plus trapu et moins impressionnant que son grand cousin, mais il n’en reste pas moins un prédateur qui en impose quand même ! Il chasse essentiellement les rongeurs, mais aussi parfois les batraciens, les reptiles, et n’hésite pas non plus à se replier sur un simple ver de terre.

C’est surtout dans la campagne profonde du sud des Deux-Sèvres, où j’ai vécu de nombreuses années, que j’ai pu observer le plus souvent les affûts et parties de chasse de ces petits géants du ciel : dans ces paysages légèrement ondulés, dessinés par des petits bois, des champs, et des chemins herbeux bordés d’immenses châtaigniers centenaires, la buse variable a tout ce qu’il lui faut pour s’installer : des bois pour faire son nid, de grandes branches pour se mettre à l’affût, des proies pour se nourrir,

Malgré qu’elle partage le même espace que nous, qu’elle utilise même les infrastructures humaines pour chasser (piquets, poteaux…), elle ne se laisse pas du tout approcher ! Une méfiance devenue innée sans doute, après tant de siècles de persécution… Heureusement, la buse est aujourd’hui une espèce protégée, comme tous les autres rapaces présents en France d’ailleurs, mais seulement depuis les années 70. Cela n’empêche pas certains bipèdes armés de continuer à leur tirer dessus, surtout en période de chasse : c’est que certains chasseurs les voient toujours d’un mauvais œil, car ils les accusent de s’attaquer à « leur » petit gibier (lapereaux, nichées de perdrix, etc.).

Or les proies préférées des buses sont les petits rongeurs, qui peuvent causer bien des dégâts, parfois, aux cultures agricoles : les paysans, eux, peuvent donc s’estimer heureux de bénéficier d’ouvriers gratuits et 100% écologiques ! (idem pour Maître Renard qui lui, hélas, n’est toujours pas protégé…). Mais contrairement à d’autres rapaces qui partagent parfois le même territoire que la buse, comme le faucon crécerelle ou le busard Saint-Martin, notre petit aigle a besoin de perchoirs pour chasser. Il est bien capable de faire un vol stationnaire, de temps en temps, mais cela le fatigue et il ne tient pas longtemps.

Voilà pourquoi il est important de préserver les haies et les arbres autour des parcelles agricoles. A défaut, on peut toujours poser des perchoirs artificiels ; ils seront vite occupés !

Comment photographier la buse ?

Peu importe que vous soyez à pied, à vélo ou à trottinette, si vous vous approchez à découvert d’une buse perchée, elle s’envolera à coup sûr avant que n’arriviez même pas à 100m d’elle ! On peut toujours tenter une photo en restant à distance, avec le plus long des téléobjectifs, mais l’oiseau restera petit dans le cadre, à moins d’effectuer un recadrage important sur ordinateur ensuite, si votre matériel est de bonne qualité.

Et en voiture ? Vous avez peut-être déjà tenté l’expérience : si on passe à bonne allure devant une buse, elle vous dévisagera à n’en pas douter, mais elle ne s’envolera pas. Par contre, si on ralentit fortement en arrivant à sa hauteur, elle partira ! Il y a toutefois une manière de tromper sa vigilance : c’est d’avancer extrêmement lentement en voiture. Vous ne pourrez jamais vous arrêter à 5 mètres d’elle, mais y’a de grandes chances que vous parveniez à vous approcher à distance bien plus respectable, pour une photo bien plus satisfaisante. Evidemment, cette technique n’est à utiliser que sur les petites routes de campagnes peu fréquentées – n’allez pas vous amuser à faire ça sur une Nationale !

Cette technique varie, bien sûr, selon les individus, mais surtout les milieux : sur les petites routes calmes, les buses sont les plus farouches, mais sur les routes bien fréquentées, ces rapaces sont habitués à la présence des véhicules. C’est ainsi qu’un jour d’hiver, j’ai pu obtenir une superbe proximité avec un individu perché sur un piquet de clôture, à environ 1m50 du sol.

C’était une fin d’après-midi d’hiver, début 2020, sur la route assez fréquentée qui relie Valence à Gap, dans la vallée de la Drôme. L’ayant remarqué, sur ma droite, j’ai fait demi-tour 100 mètres plus loin, pour arrêter mon véhicule sur l’autre côté de la route, à environ 50 mètres du rapace, pour l’observer dans une meilleure lumière. Ouf ! Il ne s’est pas envolé, et pour cause : il y a trop de voitures qui roulent et il n’a pas fait attention que l’une d’entre-elles s’était arrêtée. Hors de question de sortir : je vais le regarder tranquillement depuis mon véhicule, caché derrière mon téléobjectif qui sort légèrement de la fenêtre baissée.

Entre la buse et moi, les voitures fusent dans les deux sens, et je passe un bon petit quart d’heure à analyser sa technique d’affût, et admirer la beauté de son plumage. Il est parfaitement éclairé par le soleil rasant de fin d’après-midi. Et là, comme si ma voiture faisait partie du paysage ordinaire de l’oiseau, le voilà qui change de poste d’affût en se mettant littéralement juste en face de moi ! Je n’ose bouger d’un cheveu, mais il le faut pourtant, si je veux profiter pleinement de cet instant rare et unique pour lui tirer le portrait. Bingo !

Il me faut aussi vous raconter une autre rencontre mémorable, deux ans plus tôt, dans les Deux-Sèvres cette fois, et qui contredit quelque peu ce que je vous ai raconté plus haut, simplement parce que ce jour là j’aurais dû jouer au loto !!

Nous sommes le 26 décembre 2018, vers 11h20 du matin. Je me promène sur un chemin à la sortie du village, appareil photo à la main, quand tout à coup au détour d’un virage j’aperçois une buse se poser à même le sol, à une cinquantaine de mètres devant moi. Elle devait être concentrée par sa chasse, car elle ne m’a pas du tout vue : j’en ai immédiatement profité pour me cacher derrière la végétation, puis tenter une approche très discrète en rampant sur le ventre ! Il me faut plusieurs minutes en mode escargot avant d’arriver à une distance acceptable pour tenter une photo. La buse est toujours là, elle semble chercher une proie dans l’herbe au bord du chemin. Elle me fait face mais ne me voit pas !

Après quelques longues minutes, alors que je suis allongé par terre dans les feuilles et n’ose bouger d’un poil, la buse finit par s’envoler. Mais pas très loin ! Elle se pose un instant sur une branche, puis dans un champ. Je décide de me lever pour me rasseoir un peu plus loin, pour avoir une vue dégagée. J’ai (encore) de la chance ! Elle ne semble toujours pas consciente de ma présence, et je parviens à lui tirer le portrait, même si j’aurais préféré être un poil plus proche.

A peine une minute plus tard, la revoilà qui bouge, mais cette fois elle se met en hauteur… dans l’arbre juste en face en moi ! Je ne peux rêver plus belles conditions d’observations : la branche est bien dégagée, le rapace est tranquillement posé dans une belle lumière hivernale, et cerise sur le gâteau : il me regarde !!

A ce moment précis je suis une statue de marbre, et j’ose à peine respirer. Il est précisément 11h43, et j’ai dans le viseur de mon appareil photo une superbe buse variable qui, quelque longues secondes durant m’offre une de mes plus fortes émotions sauvages !

Voilà pour le petit aigle des campagnes : j’espère que mon récit vous aura donné envie de passer du temps dans la nature pour l’observer et, pourquoi pas, la photographier à votre tour ! Merci d’avoir lu jusqu’ici, et à bientôt pour de nouvelles aventures 🙂

Les émotions ça se partage !

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