Un hibou peut en cacher deux autres…

Une journée de mai 2017. Comme tous les soirs en revenant du travail,  j’aime assister à travers la fenêtre du salon au va-et-vient des derniers oiseaux de jour, avant l’entrée en scène des deux petites chouettes chevêches du jardin voisin ; cachées dans les branchages en journée, il n’est pas rare de les voir se mettre un peu plus en évidence, aux derniers rayons de soleil, souvent sur les mêmes perchoirs, mais pas toujours –  sinon ce serait trop facile ! Ce soir cependant, c’est un autre oiseau qui m’intrigue, là-bas, au loin… 

Locataire d’un appartement au premier étage, les grandes fenêtres côté jardin offrent une vue lointaine et généreuse jusqu’à la Seine, située à 300 mètres, et même sur les collines vertes au-delà, rive gauche. Entre l’appartement et la Seine, des champs cultivés et quelques prairies sauvages, fréquentés la majorité du temps par des corneilles, des corbeaux freux, des étourneaux et des pigeons. Parfois un faucon, un héron, un lièvre… et même, un jour, un chevreuil !  Rien de tout ça ce soir. Mais un oiseau de grande envergure au vol lent, qui virevolte au dessus des herbes folles. Je prends les jumelles : un hibou ! Incroyable… Je n’an ai jamais vu… et je l’observe depuis ma propre fenêtre !

Le hibou était assez loin, j’ai dû fortement recadrer la photo pour obtenir ce portrait et révéler ce beau regard ! 420mm – f/9 – 1/200s – iso 200

Le lendemain, en fin de journée, je décide d’installer ma tente-affût dans la prairie où je l’ai vu chasser. Je n’ai pas longtemps à attendre avant de le voir surgir au-dessus de moi, sorti de nulle part sans le moindre bruit ; un oiseau vraiment magnifique, au plumage crème strié de marron, de grands yeux jaunes-orangés, une tête énorme. Une sorte de chat volant ! Il vole à ras des herbes folles, mais dans mon affût je suis trop bas, et j’ai toutes les peines du monde à faire des photos de lui en plein vol. Heureusement pour moi, il fait une halte de plusieurs longues secondes sur un piquet de clôture, ce qui me permet de prendre de belles photos sur fond de ciel rosé.

Etant totalement novice en hiboux (c’est la tout première fois que j’en vois !), je me convaincs qu’il s’agit d’un hibou des marais, une espèce convoitée des photographes animaliers, car on le voit justement voler très bas le soir au dessus des champs, dans la lumière dorée – le rêve ! Cependant, après vérification auprès de spécialistes, il s’avère que ce que j’ai vu est un hibou moyen-duc (Asio otus de son nom scientifique). Une des différences marquantes est la couleur des yeux : orange chez le moyen-duc, jaune chez le hibou des marais.

Habituellement, le hibou moyen-duc chasse la nuit, et se repose la journée, jouant des motifs de son plumage pour se fondre dans les branchages, ce qui le rend très difficile à observer. Mais au printemps, en période de reproduction, il se montre actif avant la tombée de la nuit, où on peut le voir chasser dans les prairies, les vergers, surtout des rongeurs, mais aussi parfois des passereaux et même des petits serpents. Pendant quelques jours, à peu près à la même heure, j’ai donc pu observer son manège. Un soir, j’ai été témoin d’une scène assez surprenante : le hibou s’est fait attaquer en plein vol par une pie ! Cela s’est passé assez loin de mon affût, mais je parviens tout de même à immortaliser la scène.

Le hibou s’est sans doute approché trop près du nid de la pie ! 420 mm – f/5.6 – 1/1250s – iso 2500 © Richard Holding / Oeil Sauvage

A part une dernière fois fin juin, où j’en ai croisé un par surprise sur un piquet en bord de Seine, je n’ai plus revu de moyens-ducs de tout 2017. Arrivé au printemps 2018, vous pensez bien que je n’avais qu’une seule idée en tête, celle de surveiller la prairie devant chez moi, guettant chaque soir au mois de mai cette paire de yeux oranges, ce vol si souple et majestueux ! Hélas, rien. Je décide donc de me mettre en quête d’un autre spot, le tout étant de décider où aller, car il y a plusieurs terrains propices dans mon secteur. Pour ma première tentative, je décide d’aller voir du côté du « verger magique », à 10 km de chez moi, celui-là même où en hiver j’ai pu photographier des grives litornes et une harde de cerfs ! (une autre histoire à lire, si ce n’est pas déjà fait : « Par delà les grives, les bois« ).

Il y a toujours quelque chose à voir à cet endroit, et la présence de troupeaux de vaches fait que la biodiversité est plus riche que dans les grands champs de mono- cultures. J’avais prévu tout un circuit sur un chemin d’exploitation, où quelques jours auparavant j’avais observé plusieurs couples de tariers pâtres, des bruants jaunes, différentes variétés de fauvettes, le tout au son des loriots invisibles dans les cimes des grands arbres de la forêt en contre-bas.

Mais ce soir, je ne ferai même pas 10 mètres. Car à peine sorti de la voiture, que là-bas, à 150 mètres au fond de la prairie, un hibou moyen-duc effectue un vol de chasse. Je n’en reviens pas…

La toute première photo que j’ai faite du hibou ce 8 mai 2018. A ce moment-là, il est très loin pour mon 300mm. f/4 – 1/1600s – iso 1600 © Richard Holding / Oeil Sauvage

J’ai une chance absolument incroyable ! Je suis debout sur la route, je le regarde aux jumelles, et je le vois voler en ma direction – il passe sans exagérer à 5 mètres de moi ! J’en suis bouché-bée. Il m’a clairement vu puisque je n’étais pas du tout caché… Pendant 20 bonnes minutes, je reste là, me déplaçant d’à peine de quelques mètres, et je l’observe chasser paisiblement dans les différentes prairies de chaque côté de la route.

Le vol lent, souvent régulier du hibou, en font un sujet pas trop difficile à photographier en vol, si tant est que l’on dispose d’un boîtier capable de faire la mise an point de façon continue et efficace. 300mm – f/4 – 1/1600s – iso 1600 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Tantôt il plonge sans avertir au sol, pour tenter de capturer une proie. Tantôt il fait du sur place, un peu comme un faucon crécerelle, avant de se laisser tomber sur un campagnol ou un mulot.  Ce soir-là, je fais beaucoup de photos, en me disant qu’une telle occasion ne se reproduira pas de sitôt. Malheureusement, le ciel s’est vite voilé et les photos s’avéreront un peu ternes.

Sous cet angle, l’oiseau paraît trapu, on ne se rend pas compte de l’envergure impressionnante de ses ailes (presqu’un mètre) 300mm – f/4 – 1/1250s – iso 640 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Il est 22 heures passé. La lumière est devenue trop faible pour prendre d’autres images. Je regagne donc la voiture, et dans l’ambiance devenue crépusculaire, j’ai toujours l’impression de vivre un rêve éveillé. Je reste immobile quelques secondes, fenêtres ouvertes. C’est là que j’entends le son caractéristique du hibou moyen-duc, provenant d’un des pommiers du verger. Je me dis que ça doit être la femelle, protégeant ses petits. Le nid serait donc là, à 30 mètres de ma voiture ! Je rentre donc à la maison, avec qu’une seule envie – revenir le lendemain exactement au même endroit, à la même heure.

Pas évident d’anticiper le moment où le hibou va plonger sur une proie ! Et encore moins le moment où il va resurgir des hautes herbes. 300mm – f/4 – 1/1600s – iso 1600 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Par chance, le lendemain il fait grand beau. Et très vite je revois le moyen-duc, chassant comme la veille au dessus des herbes sauvages. Je reste une bonne demi-heure sur place, le photographiant sous tous les angles. Il se fiche complètement de ma présence !

Le hibou regarde légèrement à ma gauche… comme s’il ne me voyait pas ! 300mm – f/4 – 1/600s – iso 1600 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Les jours suivants, comme il fait toujours beau, je reviens profiter du spectacle. Mais cette troisième sortie s’accompagne de surprises… Cette fois-ci, le hibou n’apparaît pas tout de suite, à son endroit habituel. Je n’entends plus le cri de la femelle dans son pommier. Après plusieurs longues minutes d’attente, je finis par reconnaître la forme d’un hibou, perché sur un piquet assez loin de moi.

Les herbes sont tellement hautes qu’elles recouvrent presque les piquets ! Ce type de prairie sauvage avec des petits arbres et de nombreux piquets est idéal pour le moyen-duc. 300mm – f/4 – 1/1000s – iso 800 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Je regarde alors la carte IGN, et je remarque qu’il y a un chemin herbeux partant du village qui passe de l’autre côté du verger. Venue avec une amie, nous décidons de nous engager dans ce chemin pour explorer les environs, et voir si on peut avoir une meilleure vue du hibou. Mais nous n’avons même pas fait quelques mètres dans le chemin que l’on remarque deux hiboux en vol autour de nous !

Je réussis à photographier l’un des deux « nouveaux » hiboux en vol. Ce couple est très proche des maisons du village. 300mm – f/4 – 1/800s – iso 1600 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Une grosse surprise, car nous sommes en plein dans le village. Quelques secondes plus tard, on entend le cri caractéristique de la chevêche d’Athéna – il y a du monde ici ! Ne revoyant plus les hiboux, on décide d’aller en direction des chevêches justement. Ces petits rapaces-là sont nettement plus farouches, je ne ferai pas de photo d’elles à découvert ce soir !

Il commence à se faire tard, et on est un peu confus sur tout ce qu’on vient de voir…  Y aurait-il deux couples de moyens-ducs différents dans le même secteur ? On décide donc de se poster à deux endroits différents, l’un envoyant à l’autre un texto dès qu’il voit un hibou. De mon côté, je reste dans le village, et rapidement j’entends clairement le cri d’un moyen-duc provenant d’un arbre pas loin de moi. L’instant d’après, je vois un moyen-duc voler entre les pommiers, une proie dans les serres !

Cette photo a posé un sacré défi à l’autofocus de l’appareil, le hibou volant entre les branches des pommiers, dans une lumière assez faible. 300mm – f/4 – 1/800s – iso 3200 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Quelques instants après, je reçois un sms « 1 ici avec mulot » ! Ne voyant plus de hiboux de mon côté, je me dépêche donc de rejoindre mon amie qui est repartie à la première prairie, là où tout avait commencé. Et en effet, le hibou est là, nonchalant et tout en magnificence, il vogue sereinement au dessus de l’herbe, les yeux grands ouverts, le tout dans une lumière dorée de fin de journée, le soleil rasant juste au-dessus le l’horizon. Tout est parfait ! Tellement parfait que je me surprends même à exiger du hibou qu’il vole directement sur moi en me regardant droit dans les yeux ! C’est beau de rêver, mais le fait est que je vis réellement un rêve depuis 72 heures. Et – believe it or not –  le hibou vient effectivement das ma direction deux fois de suite, et passe très très près de moi, au point où il n’entre plus dans le cadre !

Il viendra encore plus près… tellement près que l’appareil est incapable de faire la mise au point – pas de chance, je n’avais pas d’objectif macro sur moi ! 300mm – f/4 – 1/1600s – iso 1250 © Richard Holding / Oeil Sauvage

Moi qui ai investi dans un téléobjectif puissant pour me rapprocher artificiellement des animaux sauvages, me voilà bien embêté, à ce moment-là ! Et si je me mettais maintenant à rêver que notre ami le moyen-duc chasse une proie juste devant nous… Bingo ! Le voilà qui plonge et disparaît dans les herbes folles. Un verger magique vous dis-je ! On entend le cri de la victime…  la scène se passe à 20 mètres de nous. On attend le moment où le hibou se remettra en vol , sa proie dans le bec ou entre les serres. Curieusement, rien ne se passe pendant une bonne trentaine de secondes. Le voilà ! En effet, il a attrapé un gros rongeur. Il vole en direction de l’ouest, je me retrouve à contre-jour, l’occasion de faire de belles photos du hibou en silhouette avec sa proie, sur fond de ciel orange-sanguine.

300mm – f/4.5 – 1/1000s – iso 250

Le hibou s’éloigne, disparaît dans une vallée, sans doute pour retrouver sa nichée.

Depuis cette soirée exceptionnelle, je suis retourné deux nouvelles fois sur place. La première fois, rien dans la première prairie, mais le second couple était bien présent dans à l’autre endroit, dans le village-même. Ces oiseaux-là semblent en revanche bien plus nerveux et discrets, et on ne les verra pas beaucoup voler. Je réussis tout de même une ou deux photos de l’un d’entre eux, perché dans un arbre.

Posés dans les arbres, les hiboux sont souvent très difficiles à repérer. Même en recadrant la photo on ne le voit pas du premier coup d’oeil ! 300mm – f/4 – 1/160s – iso 200 © Richard Holding / Oeil Sauvage

La deuxième fois, toujours rien dans la première prairie (mystère !), mais l’autre couple est bel et bien toujours présent, au même endroit. Peut-être verra-t-on quelques petites boules de poils apparaître dans les branchages d’ici quelques jours / semaines ? A suivre…

Les émotions ça se partage !

8 thoughts on “Un hibou peut en cacher deux autres…

  1. Pierre Pruvot says:

    Bonsoir, pour moi, il s’agit bien d’un hibou des marais (ou brachyote) qui a parfois les yeux de couleur orange-clair. Le hibou moyen-duc est plutôt forestier, grégaire, et porte des aigrettes (oreilles).

    1. Richard Holding says:

      Bonjour Pierre, désolé je viens seulement de découvrir ce commentaire ! Je vous assure qu’il s’agit bien d’un hibou moyen-duc, le disque facial est vraiment celui d’un moyen-duc, et en vol il a les aigrettes repliées, ce qui complique parfois l’observation.

      1. Jacques MIROU says:

        Magnifiques photos et récit passionnant. Je ne m’étais jamais penché sur les différences entre les deux espèces. Ici, c’est bien un moyen-duc : pas de bout des ailes noir, ventre strié comme la poitrine, pas de bord de fuite blanc sur les ailes.

        1. Richard Holding says:

          Merci Jacques pour ces précisions ! Je n’ai jamais vu de hibou des marais de mes propres yeux, en revanche j’en ai vu énormément en photo, et j’arrive vraiment à reconnaître les deux espèces dorénavant.

  2. Levy Clémence says:

    Oh génial ! Mais quelle aventure encore une fois et en effet, pas timide l’animal, même pas besoin d’un camouflage ! Magnifique reportage en tout cas. Et quelles photos toujours pleine de vie, je ne sais comment dire, souvent chez certains photographes on a l’impression que l’animal est figé, comme une photo de livre de biologie…. Chez toi, il ya le mouvement. Ça doit venir de la musique ça ! J’adore par exemple celle avec l’aile coupée, même si ce n’est pas académique et que tu dis ne pas l’avoir fait exprès, tu as eu raison de la mettre, on sent du coup vraiment qu’il passe tout près et du coup c’est très fort ! Merci.

  3. Florence says:

    Bravo Richard je suis en pleine découverte de ton site qui me procure beaucoup de plaisir et de ravissement ☀️ Bravo les photos sont splendides

  4. Michel says:

    Bravo Richard, je comprends toutes les émotions que tu décris pour avoir vécu une expérience similaire avec les hibou moyen duc mais je n’ai pas réussi à en faire des images aussi belles, alors un grand bravo, cette histoire est captivante !

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