Fin août 2023, nous roulions sur une petite route de campagne dans la Drôme des collines, en quête de nouvelles observations ornithologiques. Nous voulions retrouver un endroit visité précédemment, une vue dégagée en haut d’une côte où nous avions eu la joie de voir, il y a quelque temps et tout à fait par hasard, une petite bande de guêpiers d’Europe.
A cette saison, ces oiseaux volontiers grégaires ont pour habitude de se rassembler avant leur retour en Afrique. L’endroit, sublime, donne sur la vallée de l’Isère et les montagnes du Vercors. Nous patientons quelques minutes, le temps de voir passer quelques merles et une buse variable, au loin. Hélas, les oiseaux arc-en-ciel semblent aujourd’hui manquer à l’appel.
Tant pis, on reprend la voiture pour aller explorer un peu plus loin. La route, peu fréquentée, serpente entre bosquets, pâturages et surtout vergers de noyers, la culture dominante de cette campagne bucolique. Nous avançons tranquillement, prenant bien le temps de regarder de chaque côté de la route. Ici un faucon crécerelle, là un petit groupe de moineaux… mais toujours pas de guêpier. C’est alors qu’en descendant dans un petit vallon avec des noyers à perte de vue, nous apercevons un oiseau à la silhouette intrigante posé sur un fil électrique. Je ralentis pour mieux regarder : un geai ? Non, un rollier d’Europe ! Alors ça pour une surprise… Ces oiseaux, d’un bleu turquoise absolument magnifique, aiment les climats chauds et secs et sont normalement à chercher bien plus au sud de la France. Je ne m’attendais absolument pas à en voir ici !
Nous nous garons sur le côté de la route pour mieux l’observer, mais il quitte rapidement son fil pour se perdre dans les noyers… Timide, le bougre ! Nous attendons un peu, mais ne le voyant pas réapparaître, nous décidons de nous déplacer de quelques centaines de mètres plus loin, pour nous mettre davantage à l’affût. A ce moment-là, nous pensons évidemment n’avoir à faire qu’à un seul individu, isolé… Mais assez vite, nous nous rendons compte qu’il y en a un deuxième, un troisième… que dis-je, toute une colonie !! Certains sont posés dans les noyers, mais d’autres volent au-dessus de nous, en nuée ; visiblement ils chassent des insectes en vol, un peu comme le font les guêpiers, d’ailleurs.
Ce n’est pas sur fond de ciel que j’arriverai à tirer le meilleur portrait de ces merveilles, et ceux posés dans les noyers sont trop éloignés de la route. Nous décidons donc de bouger, pour chercher d’autres spots d’observation plus favorables. Je suis optimiste, car je réalise que ces oiseaux sont en pleine halte migratoire, et je me dis qu’il suffit que nous explorions d’autres petites routes de campagne à proximité pour en croiser d’autres. Si en France, ils sont surtout nicheurs dans le sud-est, une autre partie de la population passe la belle saison en Europe centrale. J’imagine que ce sont ces individus-là qui redescendent en ce moment, en passant par cette région toute proche de la vallée du Rhône – célèbre couloir de migration avifaunique.
Nous n’avons pas besoin d’aller bien loin, car dans un autre vallon, nous en voyons deux autres, posés cette fois dans une haie au milieu d’un pré. Je gare la voiture et sors tenter une approche discrète. Je n’ai hélas pas grand chose pour me dissimuler de leur vue, et pour éviter de les déranger inutilement (ne sachant pas à quel point ils sont tolérants envers les humains ou non), je décide de me contenter de photos faites à une bonne cinquantaine de mètres.
En recadrant le cliché plus tard sur l’ordinateur, je me rendrai compte que ce n’est pas si mal !
Selon la lumière disponible et l’exposition des rolliers par rapport au soleil, ces oiseaux peuvent paraître tantôt ternes tantôt éclatants. Et, comme c’est le cas pour le tichodrome échelette par exemple, c’est surtout ailes déployées que le rollier révèle toute l’étendue colorée de son somptueux plumage.
De retour à la voiture, nous poussons un peu plus loin jusqu’à un croisement de deux petites routes de campagne où nous découvrons avec joie un autre rollier, posté sur un fil au-dessus d’une prairie, tout près d’une maison habitée qui semble le laisser tout à fait indifférent.
Par chance, cette fois, il ne s’est pas envolé en voyant la voiture s’arrêter tout près de lui. Nous décidons donc de prendre le temps de nous poster là, bien immobiles à l’intérieur du véhicule pour profiter à fond de ce spectacle rare et unique.
Ici les conditions sont optimales : le rollier est à notre hauteur, bien éclairé par le soleil et il quitte régulièrement son perchoir pour chasser des insectes à même le sol. J’ai donc de belles possibilités pour tenter de le photographier en plein vol.
Parfois, il ne remonte pas sur son fil, préférant la protection des noyers tout proches. Ces moments-là sont les plus idéaux pour l’immortaliser en plein vol, parce qu’il passe vraiment tout près de nous… L’occasion de mettre pleinement en valeur les variations chromatiques de sa superbe robe !
En revanche, alors qu’il pourrait choisir une belle branche, Roland le rollier optera toujours pour un perchoir tout moche : quand ce n’est pas un fil électrique, c’est un tuyau d’irrigation ! Des tuyaux noirs comme celui-ci, il y en a des kilomètres dans ces vergers. C’est d’ailleurs certainement une des raisons pour lesquelles les rolliers font étape dans ce secteur, cela leur fait des perchoirs proches du sol bien pratiques.
On reste là tant qu’on peut, à observer les multiples va-et-vient du rollier, car on a pleinement conscience du caractère exceptionnel de cette observation… Comme souvent avec les animaux sauvages : il suffit d’être là au bon moment, n’est-ce pas ! Demain, nous pouvons revenir au même endroit, mais ce ne sera peut-être plus le bon moment…
Après deux bonnes heures passées en compagnie de ces formidables volatiles, nous rentrons tranquillement à la maison et repensons à la chance inouïe d’être passés par là ce jour-là… Encore une rencontre sauvage riche en émotions !
La prochaine histoire que je consacrerai à ces oiseaux sera, peut-être, quand j’aurai eu la joie de découvrir l’un de leurs sites de nidification… Qui sait ! Mais pour cela, il me faudra certainement aller prospecter un peu plus au sud et délaisser ce pays des noyers !