Au pic du printemps

Farouche, fascinant, majestueux, le grand pic noir de nos hétraies fait partie de ces oiseaux mythiques qui me procure toujours ce petit supplément d’émotion lorsque j’ai le bonheur de le surprendre virevolter entre deux arbres, tapoter vigoureusement sur un tronc, ou simplement donner de la voix, au loin. 

Une forêt sans pic noir me paraîtra toujours moins enchantée. Et la bonne nouvelle, dans un contexte anxiogène d’effondrement de la biodiversité lié aux activités humaines, c’est que l’oiseau progresse, d’année en année, vers l’ouest de la France. A ce rythme-là, il finira bien par conquérir l’ensemble des massifs forestiers du pays ce qui, sur le plan écologique, sera une aubaine pour les écosystèmes.

En effet, le pic noir est une espèce qu’on appelle “parapluie”, dont la présence profite à une multitude d’autres animaux : en creusant de grandes loges ovales, principalement dans les sapins et les hêtres, il crée des cavités naturelles qui peuvent servir, une fois abandonnées par l’oiseau, de gîte ou de cachette pour la chouette hulotte, la chouette de Tengmalm (en montagne seulement), le pigeon colombin ou encore la martre des pins. 

Depuis que je m’intéresse au pic noir (ma première observation date de 2015) et que je prospecte bois et forêts à la recherche de ses loges, j’ai pu me constituer une photothèque assez garnie de l’oiseau au fil des ans. Si vous me suivez régulièrement sur oeilsauvage.fr, vous vous rappelez peut-être des précédentes histoires que j’ai consacrées à cet oiseau, et notamment la plus récente d’entre-elles : “Au pic de l’automne” (2022). 

Pour le photographe de nature que je suis, l’automne est sans conteste la plus photogénique des saisons, avec sa palette de tons jaunes, rouges et orangés qui sont une source infinie d’inspiration pour cadrer et embellir son sujet. 

Néanmoins, d’un point de vue plus naturaliste, je rêvais de pouvoir discrètement observer et immortaliser une nichée de pics noirs, et pour cela il me fallait évidemment attendre le printemps. Si j’ai pu réaliser des photos de l’oiseau plus d’une fois à cette saison, au cœur de magnifiques forêts à la verdure luxuriante, j’ai en revanche mis plusieurs années avant de parvenir à trouver une loge accueillant une nichée.

C’est surtout que la période propice à l’observation des comportements des familles pics noirs est assez restreinte, entre avril et mai (voire juin, plus haut en altitude), et que même si on trouve une nichée, il faut souvent s’armer de beaucoup de patience pour voir un peu d’activité à la loge et assister à une séance de nourrissage. 

Contrairement aux variétés plus petites de pics (pic vert, pic mar, pic épeiche, etc.), l’intervalle entre deux nourrissages de bébés pics noirs est beaucoup plus long, une heure, deux heures… parfois 3 heures ! Et ce sont toujours des moments très furtifs, où l’adulte arrive sans crier gare et ne reste que quelques secondes à l’entrée de sa loge, avant de disparaître aussi vite qu’il n’est apparu. Si vous attendez depuis 3 heures ce moment dans votre affût, et que vous avez eu le malheur de baisser la garde pendant quelques secondes pour observer une fourmi ou une araignée à vos pieds, il vous faudra peut-être attendre 3 heures de plus avant la prochaine becquée… Soit 6 heures de patience ! 

Facile, dans ces cas-là, de “perdre patience” et de quitter la camp en se disant qu’on reviendra demain. Sauf que le lendemain, rien ne garantit que l’attente sera moins longue ! Elle sera peut-être même éternelle, si les petits pics ont décidé, entre-temps, de prendre leur envol…

Pour ma part, il m’a fallu attendre le pic du printemps 2024 pour enfin assister à quelques moments magiques entre un parent et ses jeunes. Soit une attente de 5 ans sur ce secteur très précis où, avec une belle concentration d’arbres à cavités très proches les uns des autres, j’ai toutefois régulièrement pu observer des individus adultes.

2023

L’année précédente, le 21 avril 2023, j’avais bien assisté au relai entre la femelle et le mâle pour couver les oeufs, parvenant même à faire une belle photo du couple à l’entrée de sa loge. Mais aucun affût, les semaines suivantes, ne m’avait permis d’assister à quelconque séance de nourrissage.

2024

Chose étonnante, le couple (si c’est bien le même ?) a utilisé exactement la même loge pour nicher, l’année suivante. On lit souvent que ces oiseaux aiment creuser une nouvelle loge, chaque année (et même creuser plusieurs loges en même temps, pour tromper les prédateurs !), mais il faut croire que celle-ci leur paraissait la plus adaptée pour nicher. 

Dès le mois de mars (le 23 pour être précis), en toute fin de journée, j’ai observé le mâle débarquer à cette loge, et y entrer, sans doute pour y passer la nuit. En ce tout début de printemps, il est bien trop tôt pour suivre quelconque nichée, mais je tiens mon info principale : les pics noirs sont toujours dans les parages !

Je ne reviendrai sur les lieux qu’un mois plus tard. A 15h36, le 21 avril, un magnifique mâle atterrit à l’entrée de la loge. Il y restera quelques secondes à peine, scrutant de droite à gauche comme une sentinelle, puis s’envolera plus loin dans la forêt. Plus aucun pic en vue ce jour-là, et toujours aucun signe de quelconque nichée ! 

12 mai 2024. Trois semaines ont passé depuis mon précédent affût. Après une bonne heure d’attente, silencieusement caché derrière mon filet de camouflage, une ombre noire surgit de je ne sais où et se faufile à l’intérieur de la loge. Je pointe aussitôt mon téléobjectif en direction de la cavité et me tiens prêt à mitrailler le moment précis où le pic en ressortira. Si je pouvais le photographier en plein vol ce serait super ! Il ne m’a pas fallu longtemps avant de voir du mouvement : en un bref éclair, voilà l’oiseau qui se montre et qui décolle, le bec plein de… fientes ! C’est la femelle, revenue certainement nourrir sa nichée et qui en a profité pour faire un peu de ménage. 

Même si je n’ai pas encore vu de mes propres yeux les oisillons, j’ai la preuve la plus évidente qu’il y a bien une nichée active, et qu’il va vite falloir que je revienne faire un affût si je ne veux pas rater l’apparition des petits, voire assister à leur envol, ne sait-on jamais ! Je sais qu’une fois nés, les oiseaux grandissent à vitesse grand V, et que c’est une question de jours avant que toute cette effervescence ne retombe. 

Je reviens sur place le 17 mai, soit 5 jours plus tard. Cette fois, j’entends clairement les petits cris des bébés pics, blottis dans leur loge, mais aucun ne daigne se montrer à l’entrée pour le moment. J’ai légèrement déplacé mon spot d’affût, cette fois, pour varier mon cadrage, et espérer détacher davantage le pic du fond, si jamais il y en a un qui décide de faire son curieux et de sortir sa tête. Après 30 minutes, en voilà un, justement !

C’est un moment très émouvant pour moi, car c’est tout simplement la toute première fois que je suis témoin d’une telle scène, en 8 ans d’observations diverses et variées du grand pic noir ! 

5 minutes plus tard à peine, voilà que le mâle adulte arrive à la loge, le bec plein de protéines. J’assiste avec délectation à toute la scène de nourrissage, les petits becs qui s’ouvrent, les proies qui sont introduites dans le gosier des petits affamés, puis l’envol du parent pour retourner à la chasse. 

Conscient de la chance que j’ai, ce 17 mai 2024, je décide de rester à l’affût jusqu’à la fin de journée, avec l’espoir d’assister à une nouvelle becquée. A mesure que le temps passe, la lumière évolue et crée des contrastes intéressants. 

A 17h53, je profite d’un rayon de soleil pour refaire une belle photo de l’un des jeunes, doucement éclairé à l’entrée de son nid. 

30 minutes plus tard, c’est au tour de Mme pic noir d’arriver à sa loge avec de la nourriture, mais cette fois-ci ça va trop vite et je manque l’occasion de photographier le nourrissage. 

Je patiente encore, la lumière devenant de plus en plus belle. Bien m’en a pris : à 18h51, le soleil éclaire parfaitement la trouée, et par chance, c’est à ce moment précis que je vois 2 petits pics sortir leurs têtes ! 

Ce sera ma dernière photo, ayant décidé que j’en avais largement assez profité pour une seule journée !

2025

Avril 2025. Un an après toutes ces belles émotions, je reviens inspecter les différents sites de pics noirs que je connais dans le secteur. Pas d’indices de nichées cette année, mais je sais que les pics sont toujours là, dans ce bois, car je les entends régulièrement lors de mes promenades. Y a-t-il d’autres loges dont je ne connaîtrais pas l’existence ? La réponse est oui, à quelques centaines de mètres à peine de la nichée de 2024, dans une autre petite vallée que je n’avais jamais eu l’idée d’explorer ! 

Mais après quelques affûts à proximité de ces “nouvelles” loges, rien ne me permettra de savoir laquelle est occupée ou non (du moins, par un pic noir – je vous renvoie vers cette histoire : ). Ce qui ne m’empêche pas d’observer, au loin puis de très près, un magnifique mâle adulte. Est-ce le même que l’an passé ? Allez savoir !

Nous voilà arrivée à la fin de cette (troisième !) histoire consacrée aux magnifiques pics noirs. Je ne sais pas si j’aurai suffisamment d’images pour vous concocter de nouveaux reportages consacrés aux saisons été & hiver… Peut-être dans quelques années, ne sait-on jamais !

Les émotions ça se partage !

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