Du cirque au circaète

Vendredi 19 juillet 2019. Sur un coup de tête, je décide d’aller dormir en pleine nature, afin d’être prêt tôt le lendemain, avec l’espoir de photographier un peu de faune sauvage du Vercors. Je choisis d’aller du côté d’Archiane, dont on m’a dit le plus grand bien, pour tenter de voir quelques vautours – et qui sait, pourquoi pas le fameux gypaète barbu !  J’arrive sur place en fin de journée, vers 18h. L’endroit est à couper le souffle. On se sent minuscule dans cette immense prison à ciel ouvert, où se dresse au bord d’un petit torrent un petit hameau isolé, entouré de très hautes falaises. 

© Richard Holding / Oeil Sauvage

Mon objectif est d’en sortir à pied, en suivant un GR qui se faufile jusqu’en haut, sur la partie la plus au sud de la Réserve naturelle des Hauts-Plateaux du Vercors. Je transporte le minimum nécessaire pour faire un bivouac, ainsi qu’une paire de jumelles, mon appareil photo et 3 focales : un grand-angle pour le paysage, une macro pour les fleurs & insectes, et un puissant téléobjectif, pour les oiseaux et mammifères. 

© Richard Holding / Oeil Sauvage

A part avoir consulté la météo (sec et chaud !) et jeté un oeil à la carte IGN, je n’en sais pas plus sur le chemin et les biotopes que je m’apprête à traverser. Après une bonne heure d’ascension sans croiser le moindre être humain, je trouve un endroit à peu près plat pour poser mon tapis de sol et rester la nuit. Il règne un silence impressionnant – pas le moindre vent ! La nuit commence à tomber lorsque j’entends les cris d’un groupe de chocards, très hauts sur une falaise ; ils pourchassent un grand rapace, mais pas moyen de savoir lequel tellement il est haut et loin. Je me plais à croire qu’il s’agit peut-être du gypaète ! 

L’heure bleue dans toute sa splendeur… Les premières étoiles commencent à apparaître © Richard Holding / Oeil Sauvage

4h30. J’ai passé une nuit moyennement confortable (mon matelas auto-gonflant est percé !), et plus moyen de me rendormir ; les hululements de chouettes hulottes rebondissent sur les parois rocheuses du Cirque, et plusieurs fois j’entends la longue chute de morceaux de roches – dus au déplacement des bouquetins ? Aux premières lueurs du jour, je remballe tout ni vu ni connu, et à 6h je suis prêt à poursuivre ma longue ascension vers le plateau, appareil photo à la main, prêt à dégainer en cas de rencontre inattendue ! Hélas, le chemin est très caillouteux, et le moindre pas doit réveiller la nature 50 mètres à la ronde… Quelques oiseaux accompagnent mon voyage – mésanges noires, rouge-gorge juvénile, pinsons des arbres. Puis plusieurs dizaines d’hirondelles de roche ! 

Conditions de prises de vue très délicates – oiseaux rapides et peu de lumière ! © Richard Holding / Oeil Sauvage

Le GR est un pur régal à cet endroit – je marche carrément sous la falaise, en contournant d’énormes morceaux de roche, avec à ma gauche dans le précipice le son du torrent qui coule, très bas très loin. 

Photo faite sur le chemin du retour, quelques heures plus tard © Richard Holding / Oeil Sauvage

Plus je grimpe, plus les pierres se font nombreuses. On dirait que toute une partie de la falaise s’est ici effondrée. C’est alors que je repère à une centaine de mètres plus loin un chamois ! Par chance, une petite butte devant moi fait qu’il ne m’a ni vu ni entendu. Il est loin, mais je ramène malgré tout une photo plus qu’acceptable. 

© Richard Holding / Oeil Sauvage

Quelques instants plus tard, j’entends un drôle de sifflement qui vient d’en haut, sur ma droite… Je ne vois rien ! Heureusement j’ai mes jumelles, et je ne mets pas longtemps avant de comprendre qu’il s’agit de deux bouquetins, très bien dissimulés, dont un qui me fixe droit dans les yeux. 

© Richard Holding / Oeil Sauvage

Content de ces deux observations, je ne m’attarde pas et continue à marcher vers le sommet. Je souhaiterais arriver à destination avant que le soleil ne soit trop perçant, et voile l’atmosphère. La dernière partie est la plus dure. Le chemin monte en zig-zag à travers les pierres blanches, avec un risque de glissade au moindre faux-pas. Je suis toujours dans l’ombre des falaises, mais dans quelques dizaines de mètres, je serai baigné par le soleil sous un grand ciel bleu. Il est 8h pile poil lorsque je pose enfin le pied sur le plateau du Vercors. Quelle vue ! Le sol est lunaire, il y a de nombreuses pierres calcaires toutes poreuses, on a l’impression de marcher sur un gruyère dur. Je m’accorde une pause bien méritée avant d’aller explorer un peu plus en avant ces paysages somptueux et si préservés. Mais j’ai à peine le temps de tremper mes lèvres dans un café chaud qu’un rapace très clair surgit de nulle part – un circaète Jean-le-Blanc !

« L’aigle des serpents » comme on l’appelle en anglais © Richard Holding / Oeil Sauvage

J’avais eu la joie d’en photographier un il y a quelques semaines, le gosier rempli de reptiles (voir photo ici). Celui-ci est en chasse, il plane doucement et regarde vers le bas. J’attends qu’il se rapproche un peu, et parviens à le photographier juste avant qu’il ne disparaisse derrière les grands pins. Ce qui en fait une photo un peu moins fade que s’il n’y avait que du ciel bleu.

Je me félicite d’être arrivé à temps pour voir ce beau spectacle ! Le reste de la matinée, je la passe à marcher tranquillement le long du GR, à l’affût du moindre sujet intéressant à photographier – insecte, fleur, oiseau, paysage… 

J’ai beaucoup tourné autour de cet insecte couleur émeraude © Richard Holding / Oeil Sauvage

Quelques centaines de mètres plus loin, le chemin qui traverse une forêt de pins clairsemée conduit à un superbe point de vue sur une grande partie de la forêt de la Réserve, avec, plus loin, le célèbre Mont Aiguille et une partie du Grand Veymont – plus haut sommet du Vercors. Et tout au fond, malgré une lumière d’été déjà crue, il est possible de distinguer quelques monts enneigés de la chaîne des Alpes !

© Richard Holding / Oeil Sauvage

Je choisis un endroit où m’asseoir et contempler cette nature si belle et sauvage. Quelques vautours fauves passent au loin, mais sinon tout est très calme. Jusqu’à ce que j’entende, sur ma droite, des passereaux au chant inédit à mon oreille. Je mets quelques minutes avant de trouver l’origine des sons : perché en haut d’un sapin, je vois un oiseau qui ressemble à un verdier mélangé à un tarin des aulnes… un venturon montagnard ! Deux, en fait. Jamais vu ces oiseaux auparavant ! 

J’étais trop loin pour espérer lui tirer le portrait… J’ai donc choisi la photo d’ambiance © Richard Holding / Oeil Sauvage

Il est 11h. La lumière devient difficile pour la photo, et il est temps pour moi de redescendre tranquillement d’où je suis venu. Je croise le chemin de nombreux papillons, dont les magnifique apollon et piéride de l’aubépine (appelé aussi “gazé”). 

Ici un gazé © Richard Holding / Oeil Sauvage

Après une bonne heure de descente, je décide de faire un petit crochet pour découvrir une cascade que j’ai vue indiquée sur la carte IGN. Quelle bonne idée ai-je eu ! L’endroit est magnifique, et je suis l’unique visiteur. Je n’avais pas pris de filtres ni de trépied pour faire ce type de photos, mais je parviens tout de même à en tirer quelque chose d’acceptable, à main levée. Je reviendrai à l’automne ! 

© Richard Holding / Oeil Sauvage

L’aventure s’arrête là pour cette fois. A la prochaine !

Les émotions ça se partage !

2 thoughts on “Du cirque au circaète

  1. Odile T. says:

    Très beau reportage …. texte et photos !
    On y est avec toi, sur les hauts plateaux du Vercors …
    Je te souhaite d’aller d’émerveillement en émerveillement sur les chemins du Vercors et d’ailleurs ! A bientôt !

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