Les grands pics mènent aux plus petits

Non sans émotion, je vous racontais, il y a quelques semaines, mes rencontres fortuites et bienheureuses avec le majestueux pic noir – le plus grand des pics européens, un oiseau tout à fait fascinant, aussi massif qu’une corneille et pourtant difficile à repérer, car d’un caractère particulièrement farouche et évoluant dans un territoire assez vaste. Son plumage intégralement noir (hormis la calotte rouge) le rend aussi très discret, dans les forêts sombres et épaisses, cependant il finit souvent par trahir sa présence par des cris très sonores qui s’entendent à des kilomètres, idem pour ses tambourinages type marteau-piqueur, en hiver et au début du printemps.

© Oeil Sauvage / Richard Holding

J’étais très heureux d’avoir pu observer, au printemps 2018, un couple nichant dans une belle loge, en plein cœur de la forêt de chez moi ici dans l’Eure (lire l’histoire). Mais par je ne sais quelle malédiction, ils ont abandonné leur nid en cours de route… Toutefois, par un retournement de situation tout à fait inattendu, je suis passé d’une expérience macro à une observation micro, car non loin de là, sur le chemin qui mène jusqu’à leur immense loge ovale, je suis tombé sur une autre loge, beaucoup plus petite celle-là, habitée par des… pics épeichettes ! Soit la plus petite variété de pics existante en Europe (environ 15 cm pour 20g), dix fois plus légers que leurs grands cousins les pics noirs !

Le plus petit des pics européens fait la taille d’un moineau domestique ! © Richard Holding

Une vraie chance, car je n’avais vu qu’une seule fois de ma vie un tel pic, et c’était quelques semaines plus tôt, en bord de Seine. Il faut dire que ce sont des oiseaux qui passent beaucoup plus facilement inaperçus que leurs grands frères les pics épeiche, bien qu’ils partagent le même assortiment de couleurs – rouge, noir et blanc, car ils évoluent souvent bien plus haut dans les arbres, sur des branches parfois très fines ; c’est que là-haut ils sont peinards, les autres pics sont trop grands pour s’y agripper, les épeichettes ont donc moins de concurrence quand il s’agit de rechercher les insectes sous l’écorce ! Ils ont cependant un cri nerveux, assez sonore, un son que j’avais déjà entendu de nombreuses fois lors de mes balades, mais sans savoir qu’il s’agissait de pics épeichettes – j’avais confondu avec le torcol fourmilier, une autre sorte de pic, expert en camouflage intégral celui-là, car zéro couleurs flashy – lui s’habille en costume d’écorce, carrément !

Ma toute première observation d’un pic épeichette… Ici une femelle, en mars 2018 © Oeil Sauvage / Richard Holding

La première fois que j’ai vu ce couple d’épeichettes, ils en étaient encore au stade de la construction de la loge. Ils ont choisi un arbre assez laid, et le moins qu’on puisse dire c’est que leur loge était bien plus brouillonne que la rondeur parfaite de celle d’un pic mar ou pic épeiche ! La faute à leur petit bec, mais peut-être aussi simplement au fait que le tronc choisi m’avait l’air bien pourri. Je suis venu leur rendre visite au cours des semaines suivantes pour inspecter l’avancée des travaux, jusqu’au jour où Madame avait décrété que l’ameublement était terminé, et qu’il était temps pour elle de se poser au fond du trou, pour couver ses oeufs.

Ici le mâle, une graine dans le bec, qui attend que Madame sorte de la loge © Oeil Sauvage / Richard Holding

Il a donc fallu attendre l’éclosion et la naissance des petits avant d’espérer photographier le va-et-vient incessant des parents, se relayant tous les quart d’heure environ pour nourrir leur progéniture. Etant donné que la loge était située au bord du chemin de randonnée, se cacher des passants n’a pas été très simple, mais personne ne s’est vraiment demandé pourquoi j’étais assis sur un tabouret caché derrière un filet de camouflage, ou alors ils m’ont pris pour un chasseur et sont vite partis se cacher… En tout cas, les oiseaux, eux, n’ont pas été dérangés par ma présence, et m’ont offert un beau spectacle à chaque fois que je suis allé les voir.

Même photo que la précédente ? Et non, regardez bien, plus de rouge sur la tête ! C’est la femelle, avec le bec plein de friandises. Sa calotte est toute noire, et elle a une tâche un peu jaune-beige au dessus du bec. © Oeil Sauvage / Richard Holding

Le nourrissage des pics est une occasion superbe pour s’entraîner à la prise de vue des oiseaux en plein vol, mais le problème est qu’en sous-bois la lumière fait souvent défaut, il est donc compliqué d’utiliser des vitesses rapides sans augmenter la valeur ISO (sensibilité de la « pellicule »), et on prend ainsi le risque de se retrouver avec des photos de moins bonne qualité, « bruitées » comme disent les photographes. J’ai eu clairement moins de succès qu’avec les sittelles torchepot (lire l’article).

L’une des « meilleures » photos en vol que j’ai pu réaliser.  © Richard Holding / Oeil Sauvage

Et qu’en est-il des petits ? Malheureusement, j’ai pas eu assez de temps pour être témoin du nourrissage proprement dit, c’est-à-dire lorsque les poussins sortent la tête de la loge pour recevoir la becquée. Cependant, début juin, j’ai pu voir in extremis l’un des petits, tout prêt à s’envoler. Il avait la tête pleinement sortie de la loge, et passait son temps à pousser des cris, réclamant sans doute de la nourriture. Mais à cet âge là, les parents arrêtent justement de les nourrir, afin de les obliger à prendre leur envol. Mon angle de prise de vue n’était clairement pas le meilleur, puisque la couleur du plumage du pic épeichette juvénile était très similaire à celle de l’écorce de l’arbre. J’ai donc assez fortement recadré la photo ci-dessous, pour que l’on puisse bien voir la tête de l’oiseau.

Une observation chanceuse, puisque le lendemain, revenu sur les lieux, la petite famille n’était plus là ! © Richard Holding / Oeil Sauvage

5 mois plus tard…

Le 1er novembre 2018, à environ deux kilomètres à vol d’oiseau de la nichée de printemps, j’ai décidé d’inspecter l’avifaune aux abords d’un bras mort de la Seine, où j’ai déjà observé par le passé geais des chênes, mésanges nonnettes hérons cendrés, et surtout Martin le pêcheur. C’est pour lui que je suis venu d’ailleurs, mais ce jour-là, c’est un invité surprise qui lui a volé la vedette – un beau pic épeichette, mâle, tapotant un arbre au bord du chemin !

J’ai pu m’approcher à environ 5 mètres – une belle proximité pour un si petit pic ! © Oeil Sauvage / Richard Holding

Impossible de savoir bien sûr si cet individu est l’un des membres de la famille croisée au printemps. Mais j’aime à penser qu’il s’agit peut-être du juvénile qui sortait sa tête de la loge, cinq mois auparavant 🙂

Après les pics noirs et les pics épeichettes,  rendez-vous bientôt sur oeilsauvage.fr pour deux nouveaux épisodes sur deux autres cousins de la famille : le pic épeiche et le pic mar !

En attenant, n’hésitez pas à laisser vos commentaires ci-dessous, si vous avez des remarques à me faire ou es questions à me poser.

Les émotions ça se partage !

10 thoughts on “Les grands pics mènent aux plus petits

  1. Odile says:

    Décidément, Richard, j’adore la façon dont tu racontes ces belles histoires « animalières » et si … familières. Bravo, et merci de tout coeur. « Oeil sauvage » m’enchante !

  2. THOREL says:

    Exposé très intéressant sur le pic épeichette , ignorant son existence du fait de l’avoir toujours confondu avec le pic épeiche , distingué par un plumage rouge à proximité de la queue.
    Dorénavant , et résidant à proximité d’un bois , je serai plus attentif lors de mes observations , accompagné de ma petite fille , également très proche de la nature.
    Toutes nos félicitations
    Roland

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