La photographie nature est source d’émotions parfois troublantes, effrayantes même, à vous hérisser les cheveux même humides un jour d’hiver planqué au bord d’une rivière ! L’histoire que je vais vous raconter s’est passée dans la Drôme, le jour de la Saint Valentin 2020, au plein milieu d’un petit village pourtant réputé pour sa tranquillité en dehors de la saison touristique.
Depuis mon arrivée dans ce département début 2019, il était un oiseau peu commun que je rêvais de photographier : le cincle plongeur. Les plates terres où j’avais planté mon drapeau et posé mon objectif photo auparavant (Poitou-Charentes, Paris, Loiret, Normandie) ne me permettaient pas d’observer cette boule de poiles de la taille d’un merle faire sa célèbre petite danse des genoux au milieu de la rivière.
Oui ! C’est l’une des caractéristiques amusantes de cet oiseau inféodé aux cours d’eau pure de débit rapide : posé quelques instants entre deux séances de pêche sur un rocher ou un gros galet, il plie ses pattes de haut en bas par un petit mouvement rapide et régulier, sans qu’on en comprenne vraiment le pourquoi du comment. Tactique de séduction ? Mouvement de gymnastique ? Peut-être pour muscler ses membres lorsqu’il plonge sous l’eau, à pêcher mollusques et autres petits nutriments… Car oui, c’est là la deuxième petite curiosité de celui qu’on surnomme le « merle d’eau » : il marche littéralement dans l’eau, et même à contre-courant !
Il faut bien quelques originalités pour compenser les plumes à première vue plutôt ternes de notre petit plongeur. Mais ne le jugeons pas trop vite : lorsqu’il file à toute vitesse au-dessus de l’eau, difficile de se rendre compte des subtilités chromatiques de son manteau imperméable. Dans certaines lumières, la robe tricolore du cincle peut en effet se révéler d’une formidable finesse : outre l’immanquable plastron blanc, le dos couleur gris-ardoise se démarque par son aspect écaillé, et la tête et le bas de l’abdomen se parent de magnifiques tons roux et châtains. Mâle et femelle sont semblables, seuls les jeunes se distinguent par l’absence de roux.
Mais revenons à cette journée particulière du 14 février. En fin d’après-midi, je choisis de me rendre sur les bords accidentés de la rivière Gervanne, un magnifique petit cours d’eau qui finit sa course dans la belle Drôme. A la belle saison, sur la portion où je me trouve, il y a des hordes de baigneurs et d’adeptes de la randonnée aquatique à apprécier la fraîcheur de l’eau et son environnement pittoresque, mais cela ne semble visiblement pas faire fuir nos petits cincles plongeurs puisqu’ici ils sont nicheurs.
Les yeux rivés sur les différents rochers, à chercher les crottes de cincles, je remonte doucement la rivière pour trouver une cachette où me mettre à l’affût. Le choix est difficile : les rochers susceptibles de servir de théâtre d’eau à la petite danse des genoux du cincle se comptent par vingtaines ! J’opte pour un endroit où la rivière fait une petite cascade : l’avantage c’est que mon appareil photo est à la hauteur de l’eau sur la partie supérieure, ce qui me permettrait d’avoir des clichés assez esthétiques.
Je suis assis immobile, recouvert d’un filet de camouflage, et j’attends. Il ne fait pas chaud, au bord de l’eau, mais le bruit du courant est apaisant. Passent des geais des chênes, une bergeronnette des ruisseaux… puis un cincle ! Zut, il a filé comme un éclair. Pas grave, j’ai encore le temps d’attendre. En voilà un autre ! Il n’est pas du tout posé là où j’imaginais, mais c’est ainsi : il a choisi une roche tout là-bas, à côté d’une petite grotte. J’installe le doubleur sur mon 300mm, pour me rapprocher au maximum de mon sujet. Pas facile de faire la mise à cette distance !
Je l’observe pendant deux bonnes minutes, lorsqu’à 16h08, précisément, un frisson me traverse de la tête aux pieds : je suis en train de regarder à travers le viseur, le doigt sur l’obturateur. Pile au moment où je déclenche, un étrange éclair orange fluo passe devant mon cincle ! Je n’en crois pas mes yeux : un martin-pêcheur s’est incrusté sur la photo !! C’est ce qu’on appelle en bon français une photobombe.
Elle est totalement floue bien sûr, puisque je n’avais pas mis les réglages pour capter le vol d’une telle flèche, mais pas de doute possible : ce fantôme orange est bel et bien celui d’un martin-pêcheur, d’une femelle même ! Fruit du hasard le plus absolu, ou volonté manifeste de Martine de pourrir ma séance d’affût ?! Quoi qu’il en soit, je décide d’en rester là : c’est bien trop d’émotions pour une journée, et il faut savoir en photographie animalière ne point trop en abuser !
Je vais tout de même terminer cette histoire en vous racontant deux trois autres rencontres avec le cincle plongeur, moins extraordinaires certes, mais quand même bien belles.
C’est dans les Alpes italiennes que j’ai, pour la première fois, réussi à prendre une « belle » photo du cincle plongeur, dans une magnifique lumière de fin de journée, en octobre 2019. Allongé au bord de l’eau, caché dans la végétation, j’ai mis ma plus longue focale pour suivre et photographier un individu qui n’a jamais voulu se rapprocher davantage, mais qui m’a offert un superbe spectacle !
Une autre rencontre mémorable a eu lieu sur une autre rivière drômoise, fin février 2020 : le Roubion. Idem qu’en Italie : oiseau très loin de ma cachette ! Mais ambiance différente, avec des couleurs moins froides, et surtout une petite pluie tout à fait bienvenue pour rajouter un peu de magie à la scène.
Mais c’est à nouveau sur la Gervanne que j’ai eu – enfin ! – ma plus belle proximité avec un cincle. A une centaine de mètres du fantôme orange, à l’automne 2020, je suis tranquillement assis au bord de l’eau sans grand camouflage quand débarque sans crier gare un cincle, à quelques mètres de moi seulement.
Curieusement peu farouche, il me laisse largement le temps de l’observer et de le photographier. C’est ce jour-là que je réussis mes plus beaux portraits !