Ce n’est que lorsque le froid soleil d’hiver disparaît de l’horizon, que les merles finissent leur dispute crépusculaire et que la lumière bleue inonde la forêt, que la voix grave d’outre-tombe du plus imposant des rapaces nocturnes se met à résonner dans toute la vallée.
C’est entre décembre et février, au début de la nuit, que l’on peut espérer entendre et avec un peu de chance apercevoir les majestueux Bubo Bubo. Grands de 75 cm, avec un poids pouvant aller jusqu’à 4 kg, ces immenses volatiles possèdent de grands yeux oranges et une paire d’aigrettes très caractéristiques.
Entendre le « houuuuuu » grave et puissant du grand-duc mâle, et le « houhou » plus aigu de la femelle, sont des moments de frissons garantis, surtout au début d’une nuit fraîche et silencieuse où le paysage assombri se revêt d’apparences fantomatiques.
Autrefois persécutés jusqu’à la quasi-extinction, ces super-prédateurs retrouvent peu à peu leurs effectifs d’antan et recolonisent depuis quelques décennies les territoires d’où ils ont été chassés. Pour notre plus grand bonheur !
Deux ans après ma toute première rencontre totalement impromptue avec ces hiboux, rencontre dont je vous ai fait part dans cette histoire, la chance m’a à nouveau souri cet hiver, à trois reprises.
Habitant à deux pas de leur immense territoire, j’ai tenté plusieurs affûts entre novembre 2023 et février 2024 pour essayer de confirmer leur présence. J’ai eu pas mal d’échecs… Avec la nature et les animaux sauvages, rien n’est jamais automatique ! Il suffit d’un mauvais vent, de promeneurs bruyants ou d’une tronçonneuse énervée pour que rien ne se passe comme prévu… C’est ainsi.
Mais un soir d’espoir, début décembre, je m’étais posté à l’endroit précis où je les avais aperçus deux ans auparavant, lorsque j’ai eu l’étonnante surprise de les entendre chanter de l’autre côté de la vallée, à 1 km de là… Un autre couple ?
Pour en avoir le coeur net, le soir suivant je décide donc de grimper de l’autre côté, près de la zone d’où venait le « houuuuu » frissonnant… Je n’avais pas vraiment prévu de faire une séance d’affût photo sérieuse ce soir-là, je suis juste sorti me promener avec mon chien dans cette zone, en toute fin de journée, en sait-on jamais. Arrivé à un point de vue d’où l’on peut voir l’imposante tour de Crest et quelques montagnes du Vercors, je regarde dépité le massacre d’une récente coupe rase, lorsqu’un énorme oiseau arrive tout à coup de la vallée, sur ma droite à environ 60 mètres, pour se poster dans un des seuls arbres isolés à ne pas avoir été coupés. C’est bien un grand duc, et certainement l’un de ceux que je suis, vue la direction de laquelle il est arrivé !
J’ai juste le temps de me baisser et de me cacher comme je peux derrière un buisson, pour sortir discrètement l’appareil photo. Les premières photos sont toutes floues… Mais par chance, l’oiseau ne semble pas m’avoir vu, ou alors ne se sent pas menacé par ma présence, ce qui me donne largement le temps d’affiner mes réglages et réfléchir à quelques compositions improvisées à travers la végétation.
Je retiens ma respiration et savoure ce moment magique qui n’est pas sans rappeler ma toute première rencontre avec cet hibou, souvenez-vous ! Ce qui est amusant, c’est que c’est souvent aux moments où je ne m’y attends pas que l’oiseau vient à moi… Et a contrario, c’est quand je cherche à la voir, préparant soigneusement ma cachette et mon camouflage, que la soirée tourne au fiasco !
Deux mois après cette inoubliable nouvelle rencontre, je décide d’aller cette fois dans le fond de vallée, près d’une zone que je soupçonne correspondre à leur lieu de nidification – une faille dans une petite falaise forestière. Arrivée l’heure bleue, j’entends les deux oiseaux chanter, mais à assez bonne distance de moi, en pleine forêt.
Après quelques instants, je vois l’un des hiboux sortir de la forêt. D’un vol très calme et parfaitement silencieux, il part à l’Est se poser certainement en haut d’un arbre de l’autre côté de la vallée. Il se fait tard et il y a très peu de lumière, mais je tente malgré tout quelques clichés de l’oiseau sur fond de ciel, à travers les branchages…
Je reste immobile un petit moment, pour savourer ce moment, lorsque j’aperçois un autre hibou très haut très loin, survoler les arbres côté ouest de la vallée. Je le photographie pile au moment où il décide de se poser.
Sachant qu’à cette distance, il n’y a aucun risque que ma présence le dérange, je quitte ma cachette pour regagner la piste, et tenter d’autres photos en jouant avec la végétation du premier plan. Je tente tant bien que mal de capter le peu de couleurs rougeâtres qu’il reste du coucher de soleil hivernal.
Tout enjoué par cette superbe soirée d’observations, je repars tranquillement chez moi, au son quelques mètres loin d’ une chouette hulotte qui donne elle aussi de la voix. Fantastique !
Deux semaines plus tard, le 24 février 2024, et ça sera la dernière anecdote de cette histoire, je reviens me poster exactement au même endroit, au fond de la vallée. Je voudrais vraiment savoir si ce couple se prépare à nidifier cette année, et tenter, si possible, de repérer leur aire tout en gardant évidemment mes distances (attention au dérangement de cette espèce hautement sensible !).
Toujours pas d’indices, mais en tendant l’oreille je comprends que les bubo bubo sont toujours dans le secteur. Et là, il se passe presque exactement la même scène qu’il y a deux semaines : après avoir chanté, l’un des hiboux sort de la forêt et regagne l’autre côté de la vallée, en passant cette fois pile au-dessus de moi !
Au lieu de la photo, je choisis pour changer la vidéo. Un petit souvenir sans prétention, comme vous pourrez le voir ci-dessous. Pas facile, à main levée, la tête torsionnée en direction du ciel !
Merci de m’avoir lu jusqu’ici, et je vous dis à bientôt pour une nouvelle histoire pleine de rêverie !