Avec les renardeaux de la forêt enchantée

Je ne crois pas à l’astrologie, mais ce jour-là, il me faut admettre que les planètes étaient bien alignées.  Nous sommes le 5 mai 2018, à environ 8 heures du matin. C’est une journée printanière aux températures estivales, le ciel est bleu, l’herbe est verte, le colza jaune pétant.

Mon objectif du jour, c’est une balade silencieuse en forêt, pour tenter de photographier des cerfs dans une belle lumière. Le coin m’avait été montré par un ami quelques jours plus tôt – nous avions ce jour-là surpris plusieurs biches (à midi passé !), et j’avais déjà réussi à faire quelques clichés sympathiques.

La forêt à cet endroit est très belle, avec des essences d’arbres assez variées – chênes, bouleaux, pins – et plusieurs clairières, faisant pénétrer généreusement la lumière. Surtout, c’est un endroit très sauvage, peu fréquenté par les humains, ce qui lui confère une atmosphère vraiment particulière, magique et sereine. A tout moment, on sent qu’on peut tomber sur un animal pleinement à l’aise dans son milieu, et pourtant, l’hiver cette zone est comme toutes les autres aux alentours le terrain de jeu des agités de la gâchette…

Avant de pénétrer dans la forêt, j’ai quelques kilomètres à faire en voiture. Arrivé à l’entrée du chemin, je me gare et je coupe le moteur. Je m’apprête à ouvrir la portière quand je me rends compte qu’à 10 mètres à ma gauche à peine, sur un petit talus, est perchée une bien belle perdrix rouge ! Curieusement, l’arrivée du véhicule ne l’a pas fait fuir. Heureusement, l’appareil photo n’est pas dans le coffre, il attend sagement sur le siège passager – j’ai donc juste à l’attraper, à baisser la vitre conducteur, et à viser la belle perdrix.

J’avais déjà réussi à en photographier une la saison précédente, mais j’étais à pied et je me trouvais beaucoup plus loin ! Ici, depuis l’affût voiture, les conditions sont idéales. Bien content de cette première photo, je sens que cette matinée n’a pas encore livré toutes ses surprises… En ouvrant la porte de la voiture, la perdrix s’envole en poussant un petit cri, je me désole de l’avoir perturbée dans son bain de soleil matinal, mais elle reviendra vite à sa place, lorsque j’aurai disparu dans la forêt.

Habillé de vêtements camouflages, j’avance le plus silencieusement possible sur le chemin herbeux tout plein de rosée fraîche, jusqu’à l’entrée de la belle et et mystérieuse forêt. Les oiseaux chantent fort dans les cimes des arbres – merles, fauvettes, pouillots véloces et siffleurs. Le chemin grimpe légèrement, en épousant les sinuosités du vallon, et après quelques centaines de mètres, la densité des arbres et la colline sur ma droite obstruent les rayons du soleil, encore très bas à cette heure de la journée. Par contre, tout au fond droit devant moi, la lumière inonde la clairière – celle où j’espère bien observer quelques cerfs et autres sangliers.

Mais ce matin-là, je n’irai pas beaucoup plus loin ; à peine ai-je avancé de quelques mètres, toujours en évitant de marcher sur des branches qui craquent, que je reconnais la silhouette familière d’un chevreuil. Je me fige aussitôt, et me baisse doucement. Heureusement, il ne m’a pas vu ! I ll s’agit en fait d’une chevrette, la femelle du chevreuil. Elle semble intriguée par quelque chose…

J’essaie d’avancer de quelques petits centimètres pour comprendre ce qu’il se passe. Tout à coup elle fait un petit bond en avant ! Et là, que vois-je… un petit renardeau ! Non, deux petits renardeaux ! Ils sont visiblement en train de s’amuser avec la chevrette, en toute innocence. Je n’en reviens pas…

Voilà des années que je rêve de voir une famille de renards ! Je suis très en colère contre le fait que ces animaux – qui sont si utiles pour l’équilibre de la biodiversité – soient toujours persécutés, déterrés, abattus sans pitié par centaines de milliers chaque année, à travers toute la France…. sauf dans les rares endroits où ils ne sont pas classés « nuisibles ». Le département de l’Eure n’est malheureusement pas un modèle ; ici, les renards sont victimes de toutes sortes d’atrocités, et peuvent même être tirés après la fermeture annuelle de la chasse. Mais l’heure n’est pas au débat cynégétique… l’heure est à celui du pur émerveillement. Surtout que ces petits renards, je le crois, n’ont jamais vu d’humains en quelques semaines de vie, vu le peu de gens qui connaissent ce chemin pourtant ouvert au public.

Les renards sont dans la partie ombragée de la forêt, mais la lumière de l’arrière-plan donne aux photos une très belle ambiance. Je suis aux anges… Je prends autant de photos que possible, mais je profite aussi avant tout de ce moment privilégié pour simplement observer la scène de mes propres yeux. Je n’ai pas beaucoup d’endroits où me cacher, surtout je me sens en fait incapable de bouger, tellement je suis rempli d’émotion… Et voilà que les deux petits renards descendent dans ma direction ! C’est certain, ils vont me voir… Bingo ! Ils sont à deux mètres, lorsqu’ils s’arrêtent soudainement et me fixent du regard… je n’ose bouger d’un millimètre ! J’ai juste le temps de faire deux photos plein-pot (j’ai une focale fixe de 300mm sur mon boîtier…), et les revoilà partis d’où ils étaient venus, à l »entrée de leur terrier j’imagine.

La chevrette est toujours là, elle observe leur va-et-vient avec curiosité – elle n’a pas compris qu’il y avait un humain déguisé en Rambo désarmé quelques mètres plus bas ! Et tant mieux. Car l’un des renards s’est assis à côté de son terrier, juste devant le chevreuil, en se demandant bien ce que je suis, comme animal… Il a pris peur au moment de me voir, mais là il est à 30 mètres, et il n’a pas l’air bien stressé. Pour mon plus grand bonheur, la chevrette s’avance tranquillement pour se poster pile derrière le renardeau, ce qui m’offre une occasion en or de réaliser une série de photos avec les deux animaux sauvages dans le même plan !

Le chevreuil finit par disparaître, et le deuxième renardeau est sans doute entré dans son terrier. Mais l’autre petit renard continue à se donner en spectacle – il saute sur un arbre couché, regarde tout autour de lui, explore son environnement, tous les sens en alerte. Et puis il disparaît à son tour.

Au total, j’ai passé 14 longues et belles minutes en compagnie de ces animaux bienheureux. Je suis rempli de bonheur, et pourtant, je ne peux pas m’empêcher de ressentir une petite inquiétude. L’idée de savoir qu’ils seront peut-être tués à leur tour, dès qu’ils seront en âge de quitter la forêt et d’aller chasser par eux-même par monts et vallées… Je suis embêté aussi qu’ils m’aient vu, j’aurais préféré pouvoir les observer de loin sans qu’ils ne se doutent de ma présence. Pour me rassurer, je décide d’y retourner les jours suivants, en espérant les revoir… Mais j’ai bien trop écrit pour aujourd’hui, ce sera l’objet d’un autre épisode !

P.S :  Enfin… la matinée n’est pas tout à fait terminée, puisqu’en redescendant le chemin vers la voiture, je décide de faire une halte devant un HLM à pics – un arbre mort que j’avais repéré la dernière fois, rempli de toutes sortes de loges de différentes tailles. Je n’ai à peine 5 minutes à attendre avant d’apercevoir un oiseau sortir de l’un des trous. Mais je n’ai pas vu lequel… Quelques instants plus tard il revient – c’est une sittelle torchepot ! Je reste quelques minutes à tenter de faire des photos, et d’immortaliser l’envol.

Les émotions ça se partage !

23 thoughts on “Avec les renardeaux de la forêt enchantée

  1. Levy Clémence says:

    Quel bonheur de lire cette page! Quelles photos magiques! Je trouve que c’est très très fort. Des témoignages de moments comme celui là nous rappelle combien il est important de continuer à défendre la biodiversité, bien sûr d’un point de vue écologique mais aussi pour préserver ces instants de poésie,d’art de la nature. Ces rencontres sont inoubliables et on touche du bout du doigt l’émotion que tu as pu ressentir. ça donne le courage, je trouve, de continuer à refuser les pesticides, de refuser l’agriculture intensive, de défendre la biodiversité, la faune et la flore, de continuer à en parler autour de soi, nous qui sommes acteurs en tant que consommateurs de tout ce qui se passe autour de nous. Merci Richard.

    1. Richard Holding says:

      Merci du fond du coeur Clémence, ça me rend heureux de partager ça et transmettre de telles émotions ! La vie sans vie serait d’un tristesse absolue. Avons-nous vraiment envie d’une planète sans abeilles, sans oiseaux, sans renards, sans… ?

  2. Agnès Boucher says:

    C’est magnifique, Richard, ce devrait être finalement quelque chose de « normal », mais dans nos modes de vie « virtuels », on ne connait plus ces rencontres magiques… Je croise parfois quelque bestiole dans mes balades matinales à vélo, j’ai souvenance des chevreuils surpris en Oxfordshire le matin lorsque je repartais très tôt pour la France, je goûte le chant des oiseaux grâce au verger abandonné à côté de mon jardin, mais là ! Merci pour vos photos, pour votre regard, pour votre amour de la nature, et de nous les faire partager par votre blog ou votre page FB… Continuez !

    1. Richard Holding says:

      Merci beaucoup pour ce commentaire plein d’encouragement Agnès ! La nature est partout (mais pour combien de temps encore ?!), même dans les zones urbanisées, pour quiconque prend le temps d’observer, d’écouter…

  3. Nadine Le says:

    Merci Richard !
    Quelles photos magnifiques accompagnées d’un texte qui tire les larmes aux yeux tant il est sincère et rempli d’émotion…
    Merci à vous de nous faire partager ces moments intenses et ces rencontres magiques qui, malheureusement, risquent de devenir de plus en plus rares si l’humain continue à se positionner comme le maître du Monde…
    Continuez à nous faire rêver … nous sommes encore nombreux à croire à l’essentialité de la Nature !

    1. Richard Holding says:

      merci beaucoup Nadine ! J’espère qu’à travers ces quelques photos et lignes de texte, certaines personnes un peu déconnectées du réel prennent réellement conscience de ce qu’est vraiment la nature, la vraie… celle que l’homme est en train de détruire à petit feu.

  4. Leïla says:

    Richard, je ne peux que rejoindre les commentaires précédents : ton récit ajoute de l’émotion à ces photos, qui n’en manquaient pourtant pas. Merci d’avoir partagé, c’est comme si on le vivait aussi, grâce à toi.

  5. Odile says:

    Cher Richard,
    Je suis fan, je m’abonne, j’en veux encore plus !!
    Continue de t’ (et de nous !) émerveiller avec ces chroniques pleines de sensibilité – et pas seulement pour les iso …
    A bientôt pour de nouvelles aventures sauvages !
    En toute amitié,

  6. Guy Moussel says:

    Superbement simple et naturel ton texte Richard. Mais il y a du merveilleux dans ton histoire comme dans tes images. Je crois que je vais le lire et le montrer à mes petits-fils un de ces jours. c’est un comte. Félicitations. Et, oui, on est avec toi dans ce combat pour la nature et contre la bêtise humaine.
    Bon et puis sur un autre plan je crois que tu m’as aussi donné le virus du 300mm que je viens de tester le week-end dernier dans les marais de l’estuaire de la Seine avec la LPO. Mais je suis novice en « chasse » photographique alors il faut de la patience pour espérer obtenir d’aussi beaux résultats que toi !

    1. Richard Holding says:

      Un grand merci pour ce commentaire, Guy ! J’espère que l’histoire plaira à tes petits-fils 🙂 Je te souhaite vraiment d’acquérir le 300mm, c’est un magnifique objectif qui ne quitte presque plus mon boîtier… Pour l’animalier, c’est vraiment le top !

  7. Fabrice Mortreux says:

    Bonjour,
    Merci pour ces captivants récits. Passant depuis des années devant des terriers lors d une balade habituelle avec les enfants je ne me doutais pas des scènes de vie qui pouvaient s y dérouler.
    Penses tu que le bruit de l objectif de mon bridge est rédhibitoire pour l observation des renards ?

    1. Richard Holding says:

      Merci beaucoup Fabrice ! Je n’ai pas beaucoup d’expérience avec les renards. Dans ma région ils sont persécutés une grande partie de l’année, et on en voit très peu… (vivants). Mais les renards sont comme les chiens, ils ont tous leur caractère, je sais que certains sont moins craintifs que d’autres (ceux qui habitent dans les rues de Londres par exemple !). Quand ils sont jeunes, ils sont souvent peu méfiants. Donc je dirais que tout dépend de la situation. L’important, en photographie animalière, c’est de rester le plus discret possible, mais énormément de photographes ont un boîtier qui fait « clic », cela ne les empêche pas d faire d’excellents photos !

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