Elle est belle, sauvage, s’habille d’un manteau de plumes multicolore, mais ne se montre qu’à certaines périodes de l’année. Et encore, quand elle est à la maison, il faut s’armer de patience avant de pouvoir l’admirer !
Martine est une femelle Martin-pêcheur d’Europe, un petit oiseau orange et bleu qui semble tout droit nous arriver de l’époque des dinosaures. Dotée de petites ailes mais d’un très long bec, Martine fonce à 30 km/h d’un vol rasant au-dessus des étangs, lacs et rivières presque partout en France, alertant de sa course effrénée par de petits cris aigus.
Ce sont précisément ces petits cris qui, un après-midi de septembre 2019 m’ont fait bondir de mon fauteuil ! Martine, chez moi dans le jardin ?! Installé dans mon studio à la campagne depuis le mois de janvier, une sorte de grotte à deux niveaux qui donne sur un jardin et un tout petit ruisseau, je n’aurais jamais cru que ses petites ailes la pousseraient jusqu’ici.
Mais l’étonnement laisse vite place à une explication tout à fait rationnelle : à cette époque, les jeunes martins-pêcheurs de l’année quittent leur lieu de naissance pour partir à la recherche de leur propre territoire. Et c’est que de l’autre côté du ruisseau, derrière la rangée d’aulnes et de peupliers, il y a un étang artificiel, d’environ 25m de diamètre. L’endroit est laissé pour sauvage une grande partie de l’année ; seuls quelques pêcheurs viennent aux beaux jours, mais ne restent jamais bien longtemps. Surtout, il n’y a pas d’habitation ni de chasse : ici la faune est plutôt tranquille !
J’enfile en moins de deux mes habits de camouflage, prépare le matos photo et sors direct chercher une cachette où m’installer pour la soirée. Assis adossé à un arbre, dissimulé derrière un filet troué, j’attends immobile et silencieux. Ce n’est pas la 1re fois que je cherche à photographier un martin-pêcheur : connaissant le comportement de l’espèce, je sais qu’il faut s’armer de patience, et comme pour beaucoup d’animaux sauvages, avoir un peu de chance ! Il fait doux, les oiseaux chantent et les insectes volent de façon erratique au dessus de l’étang.
Mais à peine 5 minutes plus tard, voilà la petite flèche bleue qui débarque de nulle part ! Elle passe de gauche à droite pour se poser sur une branche du saule pleureur qui se trouve à 10 mètres de moi. Ma vue est obstruée par les feuilles… c’est pas de chance ! Je reste immobile, et j’attends qu’elle bouge. C’est assez rare que les martins-pêcheurs restent plus d’une minute ou deux au même endroit lorsqu’ils sont à la pêche. Ils guettent, posés sur un perchoir à un mètre ou deux au-dessus de l’eau, attendent le bon moment pour plonger à plein poumons, et ressortent quasi aussitôt avec un petit poisson dans le bec ! Bien sûr ça ne réussit pas à tous les coups…
Voilà Martine qui plonge : elle ressort sans poisson… mais décide de se poser sur un autre perchoir, pile devant mon affût à environ 4 mètres ! Comme c’est la première fois que je fais un affût à cet endroit, je n’avais aucune idée où elle allait bien pouvoir se poser. Mais c’est comme si elle savait que je venais l’épier, après s’être faite un court temps désirée : la branche sur laquelle elle est posée est une branche tombée d’un arbre, sur laquelle sont encore attachées quelques feuilles mortes. C’est dans cette ambiance pré-automnale qu’elle a donc décidé de montrer son profil garni de belles plumes rousses-orangées ! Me voilà totalement ravi : je suis face au soleil couchant et je peux contempler Martine plusieurs secondes durant. Tout est réuni : chance, ambiance et émotion !
Les journées et semaines suivantes, j’entendrai régulièrement les petits cris de Martine, mais après un tel trophée photographique, je ne suis pas forcément pressé de la reprendre en photo : autant rester, du moins quelques semaines, sur cet excellent souvenir ! Arrive l’hiver, le printemps, puis à nouveau l’été. Martine reviendra-t-elle cette année ? Pas en juillet, août, septembre… ni même en octobre.
Puis vînt cette extraordinaire journée de novembre 2020. Je suis dans le jardin, occupé à préparer un « restaurant » pour les oiseaux et les écureuils, dans l’anticipation des fraîches matinées d’hiver. J’installe ma petite tente-affût, et j’attends quelques instants pour voir quelles espèces auront la curiosité d’inspecter mon installation.
Voici Georges le rouge-gorge : on peut toujours compter sur lui ! Mais pendant que je lui tire le portrait, un frisson me parcourt de la tête aux pieds : un cri de martin-pêcheur, là sur ma droite ! Incroyable… je n’aurais jamais cru que Martine traînerait par ici en plein mois de novembre ! Changement de programme : je cours chercher mon filet de camouflage, et je l’installe exactement au même endroit que lors du premier affût, 10 mois plus tôt. Mais cette fois-ci, comme la fameuse branche morte a disparu, j’installe rapidement une autre branche à peu près au même endroit, un mètre au dessus de l’eau, en croisant les doigts pour que Martine (ou Martin ?) la trouve appropriée.
Je patiente même pas 5 minutes quand quelque chose d’absolument incroyable m’arriva : un martin-pêcheur débarque par derrière en volant pile au-dessus de ma tête pour aller se poser dans le saule-pleureur que j’évoquais plus haut ! Complètement dingue… Et cette fois-ci, l’oiseau est sur une branche bien dégagée : c’est bien Martine ! Comment la reconnaître ? Contrairement au mâle qui a le bec tout noir, la femelle a la mandibule inférieure colorée d' »orange à lèvres ». Pratique pour la reconnaître en un coup d’oeil ! Evidemment, je ne sais pas par contre s’il s’agit exactement de la même Martine que l’année précédente… mais elle lui ressemble beaucoup 😉
Je suis en train de la regarder, quand tout à coup : plouf ! Elle a plongé. La revoilà ! Elle tient une proie dans le bec. Et pas n’importe quelle proie : une larve de libellule ! Pas très commun… J’avais déjà eu l’occasion d’observer un martin-pêcheur avec un triton, mais jamais avec une larve !
Je croise maintenant les doigts pour qu’elle daigne bien tester son nouveau perchoir tout beau tout propre. Surtout que l’arrière-plan lui irait à merveille. Et je peux vous dire que je ne les croise pas bien longtemps, mes doigts : 4 minutes à peine ! Car la voilà, droit devant moi, exactement là où je l’avais imaginée. J’en reviens pas de ma chance ! Elle y restera une minute entière. Une looongue minute durant laquelle j’ai tout mon temps pour la photographier en soignant ma composition. Que du bonheur !!
Merci d’avoir lu jusqu’ici ! N’hésitez pas à laisser un commentaire ou à me retrouver sur la page Faceook Oeil Sauvage !
Super photos!! Merci Richard, ça me fait bien voyager tes articles! Tu sais peut être que Joseph Kauzman déménage d’ici peu pour la Drôme?
Et tu pourrais mettre des photos de ta grotte, sa description a attisé ma curiosité!
Profite bien et continue de nous faire profiter des beautés qui t’environnent!
Bizh
Erwan
Merci Erwan pour ce message ! Oui Joseph m’a contacté pour avoir des infos justement. Je l’appelle ma « grotte » car c’est dans une ancienne usine de vers à soie, les murs en pierre sont très très épais et l’ensemble de l’architecture est assez insolite 😉
Elle est bien belle ta voisine Martine, merci pour ce récit Richard et bravo pour la patience ! 😉
Merci Michel ! 😉
Merveilleuse Martine et merveilleux récit et photos !
Merci Richard de nous faire partager ces instants rares…
Merci Nadine, avec plaisir !
Bonjour,
êtes-vous sûr que la proie était une écrevisse ?
Je pencherai plus pour une larve de libellule…
Cordialement,
Bonsoir, en effet je crois que vous avez raison ! Un ami m’a fait la même remarque. Je vais modifier dans le texte.
Comme toujours , magnifiques photos de la » martine-pêcheuse » !
Au moulin de Breteuil où nous résidons , depuis près de vingt années , nous avons également la chance d’observer très régulièrement un ou une martin-pêcheur , à environ une vingtaine de mètres de notre fenêtre , en bordure de rivière. En regard du premier observé , on suppose qu’il s’agirait aujourd’hui des » petits-enfants » !
La prochaine fois , aux jumelles , on vérifiera la couleur du bec noir où avec la mandibule inférieure » orange lèvre » !
Encore merci pour tous ces documents enrichissants.
Merci beaucoup Roland ! Quelle chance que vous avez : en 20 ans vous avez du en effet en voir des individus différents 🙂
Bravo et merci beaucoup pour ce beau récit !
Je ne sais pas si c’est vraiment de la chance que Martine se soit posée exactement sur le perchoir qui lui était destiné.
Mike Lane, photographe anglais, explique dans une de ses vidéos que justement le Martin-pêcheur teste généralement les nouveaux perchoirs qui se présentent à lui surtout s’ils sont effectivement bien placés par rapport à la surface de l’eau.
En tout cas, chance ou pas, félicitations pour vos belles images !
Merci beaucoup Patrice ! Intéressant ce témoignage de Mike Lane, il faudra que je réitère l’expérience pour le vérifier 🙂
superbe rencontre ! Moi aussi pendant quelques automnes , j’ai reçu la visite d’une Martine dans mon bassin de 8×2 …D’abord sur la barrière qui sécurise le bassin pour mes petites-filles puis sur une belle branche que j’ai placé spécialement pour elle . Surement des juvéniles à la recherche d’un territoire car la pointe des becs étaient blanche . J’ai pu prendre quelques photos sous affût et même une petite vidéo depuis ma fenêtre …