Parmi les petits êtres qui vivent près du ruisseau sauvage, au fond du vallon boisé, un curieux amphibien se rencontre parfois en plein milieu du chemin : j’ai nommé la salamandre tachetée ! On la dit « commune », mais en 5 ans dans la Drôme (sans vraiment la chercher, il est vrai), je n’ai croisé cette merveilleuse bestiole jaune et noire qu’à seulement trois reprises (quatre, si je compte, hélas, le malheureux individu aplati par la roue d’un fourgon…). Et aux dernières nouvelles, Salamandra salamandra ne se porte pas très bien, en Europe elle est même classée sur la liste rouge des espèces menacées…
Contrairement à ce que l’on pense souvent, même si elle affectionne les milieux humides, la salamandre n’est pas une espèce qui vit dans l’eau, du moins à l’état adulte. Elle nage d’ailleurs très mal ! En vérité, seule la femelle s’approche de l’eau pour y pondre ses œufs. La plupart de l’année, la salamandre évolue en sous-bois, dissimulée à même le sol sous les feuilles, les souches d’arbres, les mousses, le bois mort ou les roches. Avec sa forme allongée (elle mesure entre 15 et 30 cm, les femelles étant plus grandes que les mâles), sa longue queue et ses courtes pattes, elle ressemble assurément à un lézard. Mais alors, un lézard à la peau luisante et visqueuse et qui avance à pas de tortue !
Comme c’est le cas pour d’autres amphibiens présents en France, deux périodes dans l’année se prêtent davantage aux rencontres avec sa majesté tachetée, pour peu qu’on ait le regard aiguisé : le printemps et l’automne.
Rencontre n°1
Ma première rencontre avec la salamandre remonte à avril 2019, alors que je me promenais à pied sur le large chemin blanc qui remonte le vallon sauvage, accompagné de deux amis. Noir sur blanc, facile à repérer, a priori… Oui, mais encore faut-il regarder où l’on met les pieds !
Ce n’est qu’au dernier moment que nous avons vu la petite créature, parfaitement immobile – un autre jour nous aurions facilement pu lui marcher dessus ! Il faut dire que les salamandres sont plutôt du genre à se camoufler qu’à se disperser, et qu’elles ne sont pas réputées pour leur grande vivacité… Ce qui n’est pas pour déplaire au naturaliste-photographe, qui apprécie toujours d’avoir le temps de se contorsionner et trouver l’angle idéal pour tirer le portrait de l’animal.
Rencontre n°2
Ce n’est que le 16 octobre de l’année suivante que je croiserai, encore tout à fait par hasard, un autre individu isolé, sous couvert forestier cette fois. Une observation faite en toute fin de journée, et dans un environnement bien plus sombre que la première fois.
Je n’avais aussi, ce jour-là, qu’un très long téléobjectif dans mon sac photo, il m’a donc fallu reculer de plusieurs mètres pour pouvoir faire la mise au point correctement et tenter un gros plan de la salamandre dans cet environnement quelque peu monochrome.
Rencontre n°3
Après cette belle proximité, je ne referai plus aucune observation de salamandre dans ce vallon pendant plusieurs années. Ce qui n’a pas empêché d’autres rencontres, parfois magiques, dans ce biotope plutôt bien préservé, notamment celle avec les hiboux grands ducs, un soir de décembre !
Ce n’est que 4 ans plus tard – le temps d’une présidence Biden à la Maison Blanche – que ma route croisera à nouveau celles des salamandres qui, à en croire une vieille légende, ne craignent pas le feu. Et c’est justement dans le feu de l’automne, sur un sol tapissé de feuilles jaunes, oranges et ocres, que la coqueluche royale de François 1er m’est à nouveau apparue, plus vivante que jamais.
Contrairement aux deux rencontres précédentes, cette fois ce n’est pas une… mais 9 salamandres qui me feront la joie d’emprunter le même sentier forestier que moi, sur un tronçon d’une cinquantaine de mètres à peine ! Je me trouve visiblement ici au cœur d’un véritable « hot-spot » de ces animaux pourtant réputés nocturnes. Et en cherchant bien, je suis sûr que j’en aurais vu encore davantage !
Mais où se rendent-elles ? C’est un peu tôt pour le Festival de la Salamandre, organisé chaque année fin octobre en Suisse par le magazine éponyme. La veille il avait beaucoup plu, ce qui peut expliquer leur activité volontiers diurne aujourd’hui, où beaucoup d’escargots et de limaces sont aussi de sortie.
Conscient du caractère assez exceptionnel de la situation, je passerai plus d’une heure à les contempler et à les photographier. Avec leurs gros yeux noirs et globuleux, les salamandres ont une excellente vue, mais elles ne sont pas vraiment farouches, pour autant, lorsqu’elles croisent un humain.
J’ai remarqué, toutefois, qu’elles ont parfois tendance à se figer et à lever la tête, comme pour jauger l’intrus qu’elle ont en face d’elles. Un comportement qui promet de superbes émotions, car on a largement le temps de s’agenouiller à leur niveau pour bien soigner son cadrage photo !
Côté éthique, il faut évidemment ne pas abuser de la situation en leur permettant de rapidement continuer à vaquer à leurs petites occupations. Et surtout, il ne faut en aucun cas les toucher ni les manipuler (c’est de toute façon interdit – espèce protégée oblige !) : c’est au photographe de s’adapter à la salamandre et pas l’inverse. Comme pour tous les animaux libres et sauvages, sachons apprécier ces moments sans les perturber dans leur environnement naturel !
Des liens pour aller plus loin
Si vous voulez en savoir davantage sur ces adorables petites créatures, je vous renvoie vers ce podcast immersif, cette interview passionnante du biologiste Julien Perrot, et cet article de la revue La Salamandre qui s’attarde sur quelque unes de ses caractéristiques insolites !