Dimanche 25 février, vers 16h, le ciel est bleu, la lumière rasante, le moment est venu de tenter un petit affût voiture. Le matin, j’avais marché dix kilomètres dans la campagne euroise, appareil photo et jumelles bien attachées à ma sangle-safari, une rando bien tonifiante, mais peu fructueuse en termes de trophées d’images ! Quelques buses planant très haut le ciel, quelques merles et rouge-gorges furtifs… mais surtout un froid glacial, qui ne m’a pas encouragé à beaucoup sortir les mains des poches !
L’avantage de la voiture, c’est qu’il fait plus chaud, quoique, pour prendre des photos il faut bien ouvrir les fenêtres… Me voilà donc roulant à faible allure, guettant d’éventuels faucons crécerelles chassant au dessus des champs en jachère. Je décide de me garer à un spot où j’avais déjà observé – pour la première fois ! – des grives litornes, qui descendent en masse l’hiver dans ce petit coin de France, pour se nourrir entres autres des fruits encore accrochés aux pommiers des vergers.
Je suis donc garé au bord d’un de ces vergers, et je vois déjà les premiers oiseaux, errant au sol dans le champ de l’autre côté de la route, à la recherche de vers de terre sans doute. Très vite, une buse variable vient se poser assez maladroitement sur un fil électrique, à 100 mètres de moi, et lutte pour garder l’équilibre (pourquoi ne s’est-elle pas posée sur le dessus du poteau en bois, juste à côté d’elle ?!). Je vise par la fenêtre côté passager, histoire de ramener un souvenir, mais je sais déjà que ce ne sera pas une photo de compétition !
Quelques minutes passent, sans qu’il ne se passe rien de très palpitant. Jusqu’à ce que je remarque une voiture passante qui ralentit soudainement, ce qui a pour effet de faire fuir la buse. La conductrice a sorti son smartphone, et semble vouloir prendre en photo une grive pourtant située à 30 mètres de là. Je regarde la scène à travers mon 300mm et là, grosse émotion ! Que vois-je, se dessiner à l’horizon, par delà la grive litorne : les bois majestueux d’une petite harde de cerfs, regroupés en plein milieu du champ, sortis je ne sais d’où ! Je me rends compte que d’autres conducteurs curieux se sont aussi arrêtés, plus loin, pour observer la scène insolite. Insolite pour eux peut-être… Hélas, je sais que si ces cervidés sortent là, en plein jour, l’air quelque peu perdu et affolé, c’est qu’ils ont été dérangés dans leur habitat naturel – la forêt. Ah, la forêt grande et mystérieuse, mais totalement privée. Hormis quelques rares chemins de randonnée, son accès est réservé aux différentes sociétés de chasse des communes avoisinantes, qui pratiquent régulièrement des battues au grand gibier.
Ces cerfs-là sont donc en lutte avec les chasseurs du jour. En lutte pour leur survie. Menées par une biche hésitante, la douzaine de bêtes haletantes, visiblement paniquées, ne savent pas où aller. Il faut dire qu’ils sont un peu encerclés par les curieux arrêtés en voiture, moi y compris. J’hésite à partir, pour leur laisser la chance de venir dans ma direction, pour qu’ils puissent ensuite se réfugier dans la vallée boisée en contre-bas, mais à peine le temps de tourner la clef du moteur que les voilà galopant, en zig-zags, ils traversent le bitume et rejoignent un autre champ qui mène à un chemin caillouteux. Ils viennent vers moi !
Puis s’arrêtent. Regardent autour d’eux. Je croise les doigts pour qu’ils ne se dirigent pas vers la cabane des chasseurs, un peu plus loin, mais la biche qui mène le groupe sent le danger et, ayant finalement senti l’appel du confort de la forêt en bas de la vallée, n’y va plus par quatre chemins et décide de sauter directement par dessus une basse clôture pour gagner la prairie, puis la forêt, tout le groupe à sa traîne.
Un à un, ils sautent la clôture, ce qui me laisse quelques secondes pour essayer de viser juste, pour tenter d’immortaliser leur saut. Le soleil est encore très brillant, la lumière est très crue, je suis complètement à contre-jour… Mais je mitraille coûte que coûte, ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de voir une telle scène d’action !
La scène a duré trois minutes à peine, mais trois longues minutes pendant lesquelles je n’ai pas quitté d’une seule seconde la harde, en priant pour qu’ils échappent à leurs bourreaux ! Pour aujourd’hui…
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