Je somnole au pied d’un grand hêtre dans la forêt, rêvant d’hiboux, de martres et de loups. C’est alors qu’un étrange marteau-piqueur me tire de ma torpeur : six secondes de boucan puis le silence… Six nouvelles secondes de boucan puis un autre silence… S’ensuit une série de cris, longs et stridents. Tous les autres bruits s’estompent, comme si tout le petit peuple de la forêt s’était mis en mode veille. Une sonnerie maintenant : un radio-réveil qui vole entre deux troncs ! La silhouette musicale, noire et furtive, disparaît vite de mon petit horizon. De réveillé, je passe à émerveillé : je suis ici dans le royaume du Dryocopus martius, le bruyant pic noir qui ne se laisse pas facilement voir !
Je viens de m’installer dans la Drôme, et je viens de découvrir que j’habite à 20 minutes à pied du territoire du plus grand des pics de France (la taille d’une corneille) : je sais ce que je vais faire ces prochains soirs ! Nous sommes en janvier et c’est la période idéale pour explorer les forêts et dénicher les arbres à cavités. Non seulement les feuilles sont à terre et les branches sont nues, mais c’est aussi cette époque que les pics choisissent pour parader et tambouriner.
Une fois leur territoire découvert, on pourra revenir au printemps pour tenter un affût la tête en l’air, à condition d’être extrêmement discret pour ne pas faire fuir les oiseaux et compromettre leur nichée. Sinon, préférez l’été, mais c’est un peu moins agréable avec la chaleur (et les moustiques !)
Personnellement, c’est l’automne que je préfère avec ses ambiances si particulières, et ces trois dernières années j’ai eu la chance de pouvoir enrichir ma photothèque avec de nombreux clichés de pics noirs en octobre-novembre, certains obtenus de manière fortuite, d’autres grâce à l’affût.
Le pic noir est sacrément farouche, et il faut vraiment avoir la chance de son côté pour espérer le photographier à la volée lors d’une randonnée ! Cela m’est arrivé quelques fois, comme ici lors d’une balade dans le Puy-de-Dôme, fin octobre 2019 :
Mais la rencontre imprévue la plus exceptionnelle est assurément celle que j’avais faite au début de ce même mois d’octobre 2019 dans la Forêt de Saoû, dans la Drôme. Tellement exceptionnel que j’en avais tiré une histoire sur ce site (à lire ici), même si le feuillage ne faisait pas encore très automnal.
En novembre 2019, soit un mois plus tard, j’ai revu le pic noir du début de cette histoire (du moins je suppose que c’est lui !), dans la forêt derrière chez moi. Comme il était dans un arbre très éloigné j’ai pu le viser sans le déranger.
Au dortoir du pic noir
Même saison, même endroit, un an plus tard. J’ai depuis découvert le dortoir du pic noir ! Je suis assis adossé à un arbre en fin d’après-midi, camouflé sous un filet de laine, les yeux rivés sur un trou ovale dans lequel devrait entrer l’oiseau, à moins qu’il n’y soit déjà…
Une heure passe. Il est 17h59 et la lumière décline. C’est alors qu’il me semble voir quelque chose bouger à la loge ; je prends les jumelles et là, stupéfaction ! Le pic était déjà à la maison ! Il sort délicatement la tête comme une sentinelle dans sa tour de guet. Je retiens ma respiration pour rester le plus immobile et le plus silencieux possible, et malgré l’obscurité, je parviens à réaliser 2-3 clichés.
Quelques minutes plus tard, le voilà qui s’envole. Mais pas loin ! Il grimpe un arbre, et disparaît de l’autre côté du tronc. Je prends mon mal en patience et attends qu’il réapparaisse. Le voilà !
J’ai juste le temps de prendre une dernière photo avant qu’il ne retourne à nouveau à sa loge, cette fois-ci pour la nuit, j’imagine !
Maintenant que j’ai trouvé son dortoir, et que je connais à peu près ses horaires, je me mets à réfléchir à de nouveaux cadrages pour mes prochaines photos. Je reviens sur site une semaine plus tard, mais plus tôt dans la journée, le temps de bien chercher un nouvel angle d’affût.
Je suis dans la place à 16h50, confortablement assis derrière mon filet de camouflage. 17h, 17h30, 17h45… Il fait beau mais la forêt est calme, très calme, et passé 18h je commence à me dire que ça sera peut-être une sortie bredouille ! Dommage, car plus le soleil descends, plus mon cadrage me plait ; il ne manque plus que l’oiseau et ça sera parfait ! Et bien sûr, c’est pile au moment où je commence à m’activer pour partir que j’entends arriver le pic ! Je ne sais pas où il est exactement, il a dû se poser sur un arbre quelque part pas très loin. Je me tiens prêt, l’appareil en mode vidéo braqué sur l’entrée de sa loge, car je sais qu’il peut débarquer d’une seconde à l’autre !
Par chance, il a tendance à « chanter » quand il vole (pas vraiment un chant, plutôt une sorte de cri genre « c’est moi, le pic noir, regardez comme je vole bien entre les branches !), cela me permettra donc de savoir quand commencer à filmer pour ne rien rater de son arrivée.
Ecoutez bien (et regardez bien !) cette vidéo : les premières secondes on entend son cri statique (celui qu’il pousse quand il est agrippé à un arbre), et ensuite son cri « dynamique » (celui qu’il émet en volant, donc). Attention : ensuite ça va très vite !
Une fois entré dans sa loge, j’hésite à partir tout de suite de peur de le déranger. Et pour tout vous dire, j’espère secrètement qu’il ressorte la tête comme il l’a fait la semaine dernière, cela ferait une photo superbe ! Il lui faudra 7 minutes pour lire dans mes pensées, et accepter de se faire à nouveau photographier 😉 La photo que j’avais en tête désormais dans la boîte, je peux attendre qu’il se couche pour de bon pour partir moi aussi !
Je décide de laisser passer deux semaines avant mes prochaines retrouvailles avec l’ami le pic noir. Deux semaines pendant lesquelles la forêt de hêtres a largement eu le temps de s’embraser de teintes d’ocre et d’ambre, pour mon plus grand bonheur – que j’adore cette saison ! Et quelle photo ça ferait, aussi, le pic noir à sa loge dans cette ambiance si chaleureuse… l’automne à son pic !
Avec cette photo en tête, je me rends dans la forêt en fin d’après-midi et tourne en rond un certain temps avant de trouver le cadrage idéal. Je décide cette fois de me poster plus loin pour avoir un maximum de feuilles dans mon champ de vision.
Il ne me faudra que 20 minutes de patience pour voir mon nouveau rêve se réaliser : je suis debout, caché entre deux troncs, et j’observe dans mon viseur le pic noir qui, exactement comme je l’avais imaginé, a la tête sortie de sa loge à guetter les environs. Il ne se doute pas de ma présence, et pendant 5 pleines minutes, je le mitraille des dizaines de fois pour être sûr que je vis bien un rêve tout éveillé, à cadrer du mieux que je peux l’oiseau sacré dans ce décor de feu !
Je ne saurais rêver plus belle photo de ce pic, et décide donc sur le champ que ça serait ma dernière sortie dans ce secteur… avant le printemps suivant ! A suivre, donc 😉
A lire aussi : « A la recherche du pic noir« , une histoire normande rédigée en août 2018)