En France, ils sont trois ducs : le petit, le moyen, et le grand. Sauvages et principalement nocturnes, ces rapaces sont terriblement compliqués à apercevoir. Le petit, qui niche à 50 mètres de ma maison, égaye de son petit cri monotone mes soirées d’été dans la Drôme. Mais je ne l’ai encore jamais vu… Le moyen, lui, s’est en revanche plusieurs fois offert à mon objectif au printemps, chassant sans bruit à l’heure dorée au dessus des prairies normandes. Il ne me restait plus qu’à entendre et voir le grand. Un vœu exaucé début décembre de l’année 2021.
Un soir de fin d’automne, dans la petite vallée derrière chez moi, où j’ai déjà filmé un castor, des renards, des blaireaux, et où j’ai photographié un pic noir, un coucou et un autour des palombes, je me promenais tranquillement lorsque je fus saisi par un « hoouuuu » distant, grave et profond. Pas de doute : c’est le cri d’un Grand Duc mâle ! C’est pour eux la saison des amours, moment de l’année où ils donnent le plus de la voix.
Excité à l’idée de savoir qu’il y a peut-être un couple qui niche tout près de chez moi, je décide de prendre un peu de hauteur, le lendemain, pour tenter de mieux déceler la provenance des cris. Nous sommes le 5 décembre 2021, à 17h10. Je gare ma voiture au bord de la petite route et continue à pied, marchant sur un chemin herbeux qui longe la petite crète au-dessus de « ma » vallée. Je marche silencieusement à la lumière de l’heure bleue. Il n’y a pas de vent, les conditions d’écoute sont optimales.
Dix minutes plus tard, je sors du bois et arrive dans une zone plus dégagée, où il fait maintenant quasiment nuit. Mais pas complètement : je vois toutes sortes de silhouettes sur fond de ciel bleu-minuit. C’est là que je m’arrête sec : à 30 mètres devant moi, perché au milieu d’un pin, un oiseau massif surmonté de deux petites aigrettes.
Je n’y crois pas : je fais face à un hibou Grand Duc ! Il m’a vu, forcément, et il va s’envoler rapidement, c’est sûr… Je n’ai pas l’appareil photo entre les mains ! Je me cache donc derrière le premier buisson venu et me dépêche de sortir le matériel, en croisant fort les doigts pour qu’il soit toujours là après ma petite manœuvre. Il l’est ! Il fait maintenant très sombre, et j’ai toutes les peines du monde à faire la mise au point sur cet imposant rapace qui me fixe intensément du regard.
Pour mon plus grand bonheur, il reste en place une bonne minute, me laissant le temps de l’observer et de le photographier. Quelle émotion ! C’est obligé : le lendemain, je reviens dans la même zone faire un affût. Et qui sait, apercevoir le couple cette fois ?
Le lendemain donc, j’arrive sur les lieux une bonne heure avant le coucher de soleil, histoire de bien étudier la zone et choisir un endroit idéal où me cacher. Pour éviter tout dérangement, je me mets carrément à 100 mètres de l’arbre dans lequel se trouvait hier le Grand Duc. Je suis assis à même le sol, en tenue camouflage, avec une petite fenêtre sur l’arbre et quelques autres pins isolés.
Une heure passe. Après le coucher du soleil, des dizaines de merles et de grives sortent de je ne sais où ; l’un d’eux se pose littéralement à un mètre de moi ! Je partage son dortoir peut-être… Et là, grosse surprise : un autre oiseau étrange surgit de la végétation et fait des ronds en l’air. Il a un très long bec : c’est une bécasse des bois !! Impossible à photographier, il fait bien trop sombre pour faire une photo d’action, mais cette scène me remplit de joie !
Vînt ensuite l’heure de la deuxième surprise. Un Grand Duc se met enfin à chanter, quelque part sur ma droite. Il n’est pas du tout à l’endroit où je l’attendais. Passent une minute ou 2 de silence. Et là, un truc de fou : le rapace vient de se poser là, juste devant moi, dans le premier pin qui se trouve à… 5 mètres ?!
Il ne me voit pas : il est concentré sur son chant ! Est-ce le même individu qu’hier ? Je prends quelques photos puis mets rapidement le mode vidéo ; la scène est trop extraordinaire pour être oubliée ! Je suis caché derrière le boîtier, totalement immobile, et parviens à filmer l’oiseau quelques longues secondes avant qu’il ne se décide à aller chanter plus loin.
Je n’en reviens pas de la chance incroyable que j’ai eue, ces deux soirs de suite ! Tellement de chance que je n’ai plus rien vu du tout tous les jours suivants… J’ai, par contre, bien entendu les deux cris différents du rapace, celui du mâle et celui, plus aigu, de la femelle. Sans les revoir, j’ai donc malgré tout la confirmation que je partage mon voisinage avec un couple de hiboux Grand Duc !
Il me faut attendre le mois de février 2022 avant de revoir de tels oiseaux. A une vingtaine de kilomètres de mon domicile, on m’a parlé de la présence d’un autre couple, qui niche depuis de nombreuses années dans une falaise. Le 6 février au soir, je décide d’aller sur place. Je trouve un endroit idéal pour embrasser du regard toute la falaise, à bonne distance, pour éviter tout dérangement. Après une longue attente, j’entends enfin le « houuuu » caractéristique du mâle chanteur. Mais impossible à localiser, surtout avec le jour déclinant.
Il fait quasiment nuit lorsque je vois quelque chose voler, puis se poser sur un rocher. Je sors les jumelles : ils sont là, monsieur et madame Grand Duc ! Je n’en reviens pas de leur capacité à se fondre dans le décor, s’ils n’avaient pas bougé jamais je les aurais vus… Je fais quelques clichés, pour le souvenir, et pour vous montrer à quel point ils sont bien cachés. Vous les voyez ?
Alors ?! Je vous aide peu, avec ce petit recadrage. Mais même ici, ils passent presque parfaitement inaperçus !
Et cet hiver ? J’ai commencé à réentendre le cri d’un Grand Duc derrière chez moi, mais à un endroit différent que l’an dernier. Malgré plusieurs sorties au crépuscule, je n’ai encore rien vu. A suivre…
Petite info pour terminer : le Grand Duc est l’une des espèces choisies pour mon calendrier OEILSAUVAGE 2023, dont vous trouverez le détail ici. N’hésitez pas à me contacter si vous souhaitez recevoir un exemplaire !