Tout avait commencé un jour de mai 2016, en fin d’après-midi, alors que je me promenais le long d’une portion paisible et sauvage du Loing, une agréable rivière du Gâtinais bordée à plusieurs endroits de ripisylve préservée.
Hirondelles, bergeronnettes et martins-pêcheurs sont les oiseaux que l’on observe le plus fréquemment ici, à la belle saison. Mais ce jour-là, sans crier gare, deux prédateurs sont sortis du bois. Remontant le cours d’eau à la recherche de victuailles, les deux rapaces avaient un vol très agile et parfaitement silencieux : des faucons hobereaux !
Présents en France d’avril à septembre seulement, ces oiseaux discrets affectionnent particulièrement les milieux boisés à proximité des zones humides. A l’époque, je commençais tout juste la photographie animalière et je n’étais pas équipé pour capter les sujets en mouvement comme je l’aurais souhaité. Je ne ramènerai donc ce soir-là à la maison qu’une photo floue… mais aussi – et surtout -, l’émotion de la rencontre, plus forte que tout !
Surprise, furtivité et photo ratée : c’était décidé, le faucon hobereau, avec son dos bleu-gris, sa culotte rouille et ses longues ailes pointues allait devenir mon faucon préféré. Celui que j’allais idéaliser, fantasmer, mais ne retrouver dans des circonstances vraiment exceptionnelles que 8 ans après… Il y eût bien, dans l’intervalle, quelques observations lointaines et hasardeuses. Des rencontres furtives qui, faute d’avoir pu m’offrir de belles photos, ont toutefois bien contribué à renforcer le mythe que je m’étais construit autour de cet oiseau ! Il faut dire que ces migrateurs venus d’Afrique, spécialisés dans la chasse aux libellules, hirondelles et martinets, sont plutôt du genre à s’activer après le coucher de soleil, limite crépuscule, ce qui raréfie forcément les rencontres et possibilités de prises de vues…
Cependant, lorsque les conditions s’y prêtent et que la nourriture abonde, les hobereaux peuvent parfois se mettre en chasse en pleine journée. Il s’agit alors d’être là au bon endroit, le bon jour, et au bon moment ! Or comme tout photographe animalier vous le dira, de tels moments ne se programment pas à l’avance comme une séance de cinéma : rien n’est jamais figé dans le grand spectacle offert par la nature, et c’est précisément ce qui fait tout le sel et la magie de chaque sortie photo !
La magie, il y en a eu le 18 mai 2023, dans un petit coin sauvage à l’entrée du Vercors, dans la Drôme. Ce jour-là, sous un ciel laiteux, je suis sorti inspecter les abords d’une petite rivière de montagne. Ici, l’eau est vive et très claire, un milieu parfaitement adapté au cincle plongeur mais aussi au harle bièvre, un canard plongeur au bec étonnant qui regagne du terrain dans ce département depuis quelques années maintenant.
Je m’engage dans une petite sente du bosquet jusqu’à atteindre le rivage, me servant de la végétation environnante comme camouflage. C’est là que très vite, exactement comme dans le Loiret huit ans auparavant, les faucons hobereaux sont arrivés de nulle part, volant à un ou deux mètres à peine au-dessus de l’eau, tels des martinets géants !
Ils sont 2, 3, 4… je ne me souviens plus exactement, car cette fois-ci j’essaie de me focaliser sur un individu en particulier, l’œil collé au viseur de mon nouvel appareil photo, conscient que j’ai là une occasion en or de les immortaliser, et qu’elle ne se reproduira peut-être pas de sitôt !
A aucun moment les rapaces ne semblent perturbés par ma présence, volant parfois très près de mon affût…
J’ai bien compris qu’ils m’ont pas vu, car ils lèvent parfois la tête dans ma direction à chaque passage, mais ils sont pleinement concentrés sur leur chasse aux insectes. Ils respectent une sorte de schéma circulaire, un peu comme font les libellules d’ailleurs : celui que j’ai dans le viseur vient littéralement droit sur moi, ne déviant de sa trajectoire qu’au dernier moment !
C’est ainsi que pendant plus d’une heure et demie (le temps d’un bon film !), j’ai pu contempler dans des circonstances exceptionnelles ces gracieux faucons faire des va-et-vient sur la rivière, virevoltant de droite à gauche, de haut en bas, tentant d’attraper des insectes en plein vol… Quel incroyable spectacle !
Cela valait bien le coup d’attendre 8 ans, n’est-ce pas ? Puisse le prochain spectacle se produire avant 2031…
Pour finir, si vous aimez comme moi les faucons, je vous renvoie vers cette autre histoire (« L’ars du faucon« ), que j’ai rédigée en décembre 2023, suite à une rencontre fortuite avec un couple de crécerelles, dans un endroit assez inattendu des Pyrénées ariégeoises, en juillet dernier.
A très bientôt pour une nouvelle histoire !