Les trois chouettes de Pâques

Samedi 19 avril 2025, premier jour d’un long week-end pascal dans la Drôme. Je pars à pied de la maison en début d’après-midi, le sac photo sur le dos, direction la forêt derrière chez moi. 20 minutes de marche sur des petits sentiers sauvages m’emmènent dans une petite hétraie prospectée cet hiver, où j’avais remarqué plusieurs arbres à cavités.

L’idée du jour est simple : me mettre silencieusement à l’affût, le temps qu’il faudra, pour tester ma chance et tenter de découvrir quelles espèces peuvent bien avoir élu domicile en ce lieu… Je pense très fort à un pic noir, compte tenu des grandes ouvertures ovales ci-et-là, mais il y en a aussi des plus circulaires, propices à d’autres espèces cavicoles.

La journée est ensoleillée, la température tout à fait agréable, avec quelques bourrasques de vent qui rappellent qu’en avril il ne faut jamais se découvrir d’un fil !

Les minutes passent, avec pour compagnie le bruissement des jeunes feuilles vertes et quelques merles chanteurs. Une mésange bleue virevolte entre les branches. A une vingtaine de mètres, plus bas, il me semble voir un petit passereau entrer dans un trou… Une sittelle torchepot !

Voilà un oiseau que je ne vois pas beaucoup depuis que je suis installé dans la Drôme. L’ambiance forestière me rappelle la découverte, que j’avais faite, d’une nichée de sittelles dans une forêt normande, en 2018, et qui m’avait inspiré cette histoire.

Dans mon dos, voilà que j’entends les petits cris d’un pic épeiche. Il ne se montrera pas à moi. Passé 30 minutes, environ, bercé par les chant des oiseaux, je me rends compte que l’ambiance est tout à coup devenue moins sereine. Des merles semblent rouspéter contre quelqu’un ou quelque chose… Rien de visible depuis ma place. Mais attendez… J’entends des petits sons, quelque chose semble avoir bougé, dans l’arbre là-bas… Il me semble apercevoir, posé sur une branche et caché par le tronc de l’arbre, un oiseau beige-marron, de taille moyenne. Serait-ce une grive ? Un épervier ? Non, il est plus rondelet que cela…

C’est seulement en utilisant le zoom numérique de mon appareil photo que je comprends ce que je vois : c’est une jeune chouette hulotte ! Incroyable, je ne m’attendais vraiment pas à ça, si tôt dans la saison ! La dernière fois que j’ai vu des juvéniles, c’était fin mai 2022, dans le Vercors. Il est vrai que le printemps est plus tardif, là-haut. Ici nous sommes 700 mètres plus bas en altitude.

Il est 16h22. De mon affût, pas évident de faire une belle photo, il y a trop de branches et de feuilles entre la chouette et moi. Comme elle bougeotte un peu, assez maladroitement, j’attends un petit peu pour voir si elle va se mettre un peu mieux en évidence. Après 10 minutes, je vois enfin sa tête en entier et ses beaux yeux noirs ! Elle regarde dans ma direction.

Je profite de la rareté de cet instant pour la photographier, la filmer, mais aussi simplement l’observer, avec les jumelles. Vu son allure, elle semble être sortie du nid tout récemment !

D’expérience, je sais que s’il y a un juvénile, il y en a peut-être deux, voire davantage… A quelques mètres de cet individu, je suis attiré par des petits cris étranges. Les merles sont toujours nerveux. Je décide de m’approcher discrètement, toujours en tenue de camouflage. Assez vite, je découvre une deuxième boule de plumes, posée dans un vieux buis mort. L’effet est assez curieux car je ne vois que sa silhouette, pas son visage !

Je me déplace de quelques mètres pour changer de perspective. Un mouvement repéré par la deuxième petite chouette, qui tourne maintenant la tête dans ma direction. Je garde évidemment mes distances, mais à cet âge-là, il n’y a aucun risque que ma présence ne la dérange, je ne lui fait pas peur du tout – au contraire, je suis pour elle une petite curiosité !

Avec son plumage tout cotonneux, cet individu a l’air encore plus jeune que le premier ! Il est surtout plus amorphe et immobile ; celui-là, je ne le verrai pas bouger de sa branche.

Je patiente un peu, pour tenter de voir s’il n’y a pas d’autres surprises de Pâques cachées dans ces arbres… Je reviens un peu sur mes pas, pour vérifier si la première chouette est toujours là. Elle l’est – fidèle au poste !

Je l’observe fermer les yeux, doucement, et moi-aussi, je me surprends à rêvasser un peu, conscient de l’immense chance que j’ai d’être en compagnie de ces deux petites merveilles.

Il est maintenant 16h56. C’est alors que quelque chose attire mon regard, dans un arbre mort à 10 mètres de moi, juste derrière celui face auquel j’avais décidé de me mettre à l’affût. Cet arbre-là, j’y avais prêté un peu moins d’attention, car il n’avait qu’une seule loge, ronde, pas ovale.

Mais il y a quelque chose à l’entrée de cette loge ! Je n’y crois pas : c’est une troisième petite chouette ! J’ai une chance absolument inouïe : je suis venu à cet endroit tout à fait par hasard aujourd’hui, et il se trouve que j’ai précisément choisi LE jour où trois petites chouettes ont semble-t-il décidé de prendre leur envol !

Je vis un rêve éveillé, c’est pas possible… Sous le coup de l’émotion, je fais de mauvais réglages et mes premières photos de cette 3e chouette sont toutes floues. Mais heureusement, ce petit individu va m’en donner, du temps, pour me rattraper, et me laisser lui tirer le portrait sous différents angles ! Je parviens d’abord à capter ce superbe moment où, éclairé par un rayon de soleil, il ferme les yeux quelques secondes.

Je continue de prendre quelques photos de l’endroit où je suis assis, puis, voyant qu’il ne semble pas tout à fait prêt à sauter de son nid, je décide de me déplacer de quelques mètres pour tenter de trouver une composition plus esthétique.

Il y a beaucoup de vent, maintenant, ce qui complique beaucoup la prise de vue à travers les feuilles, mais le hasard a plutôt bien fait les choses avec celle-ci !

A tout moment, le petit rapace peut s’envoler ; à mesure que les minutes passent, il sort de plus en plus la tête et regarde dans toutes les directions. Pour tenter d’immortaliser ce moment, il me faut faire vite, mais sans précipitation !

Fausse alerte. Un autre petit acteur imprévu va dissuader l’oiseau de quitter le confort de son nid douillet : un bourdon charpentier ! Le gros insecte tourne autour de l’arbre et semble intrigué par la petite chouette.

La chouette, elle, qui n’a jamais rien vu de tel dans sa vie, ne sait visiblement pas trop comment réagir. Je l’observe timidement tenter de lui donner un coup de bec en plein vol, puis baisser les yeux lorsque le bourdon tente littéralement de se poser sur sa tête ! Sur cette photo, je suis parvenu avec beaucoup de réussite à capter le resplendissant reflet bleu de ses ailes en plein vol.

C’en est trop pour la chouette, qui décide de se mettre en sécurité à l’intérieur de sa loge. Le grand saut dans le monde extérieur ne sera finalement peut-être pas pour aujourd’hui !

Il est désormais 17h30. Il y a encore 3 bonnes heures de lumière disponibles, mais je décide que j’ai largement fait le plein d’émotions pour une seule journée… Je quitte les lieux comme je suis venu, aussi discrètement que possible, pour laisser tout ce petit monde en paix. En revenant à la première heure, le lendemain matin, j’assisterai peut-être à l’envol, qui sait !

Dimanche matin, 8h. Je suis de retour sur les lieux que j’ai laissé la veille et me trouve plongé en plein concert de passereaux : fauvettes, rouges-gorges, merles, sittelles, un coucou au loin… ça piaille de partout, c’est bien le printemps ! Un chevreuil, qui a peut-être senti ma présence, s’adonne à quelques aboiements rauques dans la végétation toute dense, à ma gauche. Je n’ai pas fait un bruit, mais contre son puissant odorat je ne peux pas faire grand chose !

Je fixe un bon moment l’ouverture de la loge où j’avais laissé la 3e chouette, la veille. Rien ne bouge pendant une bonne heure… Je m’inquiète de savoir si les oisillons ont survécu à la nuit. A cet âge-là, incapables de bien voler, ils sont fragiles et sont des proies faciles pour certains prédateurs (renards, martres, grands ducs…), si tant est que ces derniers arrivent à les repérer et à les atteindre dans les arbres.

Je me déplace de quelques pas, en silence, les yeux grands ouverts. Les merles ont repris leurs cris d’alerte, mais un peu plus loin qu’hier. L’une des chouettes doit forcément être dans le secteur… De fait, après quelques instants, j’en découvre une posée sur un perchoir différent de la veille.

Rassuré par cette présence, je ne m’attarde pas trop, et je reviens près de la loge au cas où il y aurait de nouveau du mouvement. Toujours rien. En revanche, pas loin, je me rends compte d’une deuxième chouette, immobile sur une branche, droite comme une statue, les yeux à moitié ouverts pour se faire oublier !

Les deux chouettes de la veille sont donc toujours là. En revanche, aucune trace de la troisième ! Est-elle toujours dans sa loge ? Je ne resterai pas assez longtemps pour le savoir. M’étant rendu compte qu’une adulte, posée plus haut dans le même arbre, épiait de sa cachette tous mes faits et gestes, je décide de m’éloigner pour éviter de déranger davantage.

Et voilà comment se termine un merveilleux week-end pascal, avec beaucoup de souvenirs en tête mais plusieurs centaines de photos à trier !

Pour terminer, je vous laisse avec cet autre souvenir d’une hulotte juvénile, photographiée en mai 2022 dans le Vercors drômois.

En espérant que ce récit vous aura plu, je vous dis à très bientôt sur oeilsauvage.fr pour une nouvelle histoire printanière illustrée !

Les émotions ça se partage !

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