Automne 2016. Soirées humides et brumeuses en val de Seine. Par la fenêtre du « château », le ciel s’illumine de couleurs roses, oranges ou rouges, donnant un aspect féerique et mystérieux aux prairies voisines, semi-sauvages. Passent dans le ciel tour à tour hérons, mouettes, corbeaux freux, pigeons ramiers. Et puis ce cri, tout à fait inouï, qui semble venir des pins ou bouleaux du jardin d’à côté… Je ne compte plus le nombre de fois où, à l’heure du crépuscule, aussitôt que ce cri se fait entendre j’accoure à la fenêtre, jumelles à la main, scrute partout, dans chaque arbre… sans rien voir d’autre que des branches sombres et quelques formes suspectes. Je me rends vite compte qu’il y a en réalité deux cris différents, qui proviennent de gauche et de droite, comme deux créatures qui conversent. Cela ne dure jamais très longtemps, quelques secondes à peine ! Je passe en revue les différents chants de rapaces nocturnes – il n’y a pas de doute, ce sont des chouettes chevêches ! La dernière fois que j’ai observé de telles bestioles, c’était durant mon enfance, dans mon village du fin fond des Deux-Sèvres – je me souviens très bien avoir aperçu ces petites silhouettes de boules emplumées, perchées tout en haut des poteaux de téléphone…
Me voilà donc tout à fait excité d’apprendre qu’au moins deux petites chouettes habitent à quelques mètres de ma maison ! Mais toujours impossible de les voir… Pendant de longues semaines, je n’ai fait que les entendre, toujours à peu près au même endroit. Jusqu’à cette soirée d’hiver où, les arbres ayant perdu toutes leurs feuilles, il me semble enfin identifier ce qui m’a tout l’air d’être une silhouette de créature rondelette. Difficile toutefois de la photographier, il fait bien trop sombre quand je rentre du travail ! La patience s’impose. Arrivé en mars 2017, avec les journées qui s’allongent enfin un peu, je réussis mes premiers clichés, depuis la fenêtre du salon.
De cette position, orienté vers l’ouest, je ne peux faire que des photos d’ambiance, crépusculaires, avec les chouettes en silhouette. Cela donne aux photos un aspect mystérieux, mais rend impossible les prises de vue plus naturalistes, où l’on peut admirer en détail le plumage et le regard si envoûtant des petits rapaces nocturnes. Je demande donc l’autorisation à mes voisins d’installer dans leur prairie ma petite tente-affût, un soir en fin de journée, de façon à être orienté vers l’est avec le soleil couchant dans le dos. Cela me donnerait une chance, si elles veulent bien se montrer, de les photographier baignées de lumière dorée. A la sortie de l’hiver, les arbres sont toujours nus bien sûr, ce qui facilite les observations d’oiseaux. Mais feuilles ou pas feuilles, ces petites bêtes sont très douées pour se cacher !
Mais ce 9 avril 2017, la chance est de mon côté. J’installe mon affût en face de l’arbre lequel je pense sert de cachette diurne à mes petites voisines préférées, et effectivement, j’attends à peine 15 minutes avant d’en apercevoir une, dans une magnifique lumière dorée !
Bien content de cette magnifique observation, je décide de rester dans l’affût et d’attendre le coucher de soleil, moment où les chevêches s’activent pour chasser. Je n’ai besoin d’attendre que 20 petites minutes pour que l’une des chouettes se poste sur un des nombreux piquets en bois qui entourent la prairie. Mon affût est un peu loin, mais j’ai tout le temps pour observer le manège de ces petits rapaces qui ont des mœurs finalement assez prévisibles. Quoique… à 19h51, que vois-je, mais les deux chouettes l’une sur l’autre sur le même piquet ! Les voilà qui s’accouplent pendant quelques secondes… incroyable ! Dix minutes plus tard, alors que les deux se trouvent dorénavant sur deux piquets différents, l’une quitte son perchoir pour chasser au sol une limace ou un ver de terre. Il y a encore un peu de lumière pour tenter une photo…
20 heures passées. Il fait maintenant très sombre, et je commence à bien ressentir le froid… Je remballe tout, mais n’ai qu’une seule envie, replanter mon affût dès que possible, et revivre de nouvelles émotions avec ces admirables petites chouettes, si attachantes avec leur forme ronde et leurs grands yeux jaunes !
Il me faut attendre une semaine avant d’avoir toutes les conditions réunies pour retenter un affût. Cette fois, mon objectif est de réaliser une photo des chouettes sur un piquet en bois, avec , si possible, un ciel de soleil couchant. Par chance, ce soir-là, le ciel s’illumine de rose après la disparition du soleil derrière l’horizon, et à 20 heures précises, les chouettes sont au rendez-vous sur leurs piquets préférés, et je réussis un beau portrait à contre-jour :
Comme j’ai l’impression qu’elles se fichent pas mal de ma présence (elles voient bien qu’il y a quelque chose de pas normal, dans la prairie, ce petit dôme surgi de nulle part !), pour mon troisième affût, survenu le 29 avril, je décide de mettre mon affût à 5 mètres à peine de la clôture, en me disant on ne sait jamais, y’a une petite chance que l’une d’entre elles vienne se percher pile sur le piquet en face de moi ! Et c’est presque ce qui est arrivé. En cette soirée printanière, à l’heure bleue (20h40), l’une des chouettes se montre sur un piquet situé à une trentaine de mètres, pile dans l’alignement avec les lumières du village de l’autre côté de la Seine. C’était totalement imprévu, mais en regardant dans le viseur de mon boîtier, je vois que cela donne à la photo une ambiance un peu sapin de Noël !
Ce bleu minuit allié à ces lumières chaudes me motivent à réitérer l’expérience, tant que les soirées sont douces et ensoleillées. Je retente donc un affût, le 5 mai. La même scène se produit. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises… Car l’une des chouettes a finalement décidé de venir se poster pile devant mon affût, sur le piquet le plus proche ! Elle me regarde droit dans les yeux… c’est intimidant ! Je n’ose bouger le moindre petit sourcil. Mais l’heure bleue est son apogée et j’ai là une occasion en or pour lui tirer un magnifique portrait ! Délicatement, je me cache derrière mon appareil, et je la contemple à travers le viseur. Elle ne bouge pas d’une plume, et fixe intensément mon objectif. Je n’ai pas de trépied, pas de flash, je sais donc que je vais devoir utiliser une vitesse très lente pour avoir photo à peu près bien exposée, tout en évitant le bruit colorimétrique. J’ose donc le 1/8e de seconde…
Ce face à face m’a rempli d’une immense joie. La chouette était tellement proche, que j’avais vraiment l’impression d’être dans son cercle existentiel, de me sentir accepté par elle, tout en ayant bien conscience qu’elle est en réalité complètement sauvage, et qu’au moindre faux-pas, bruit ou geste brusque, elle s’envolerait voir ailleurs !
Depuis ce jour, de nombreux changements ont eu lieu sur le territoire des petites chevêches, avec changement de propriétaire, transformation du terrain, vieux arbres arrachés, et nouveaux objets posés… Mais fort heureusement, les deux boules de plumes sont toujours là, et même que – c’est la grande nouvelle de l’été 2018 – la famille s’est agrandie d’une boule ! J’aurai l’occasion de vous en reparler lors d’un prochain épisode d’Oeil Sauvage, avec quelques surprises 🙂
D’ici là, n’hésitez pas à me laisser des commentaires et à me poser des questions sur les chouettes, leurs comportement, habitat, etc. A force de les observer, je connais maintenant assez bien leurs habitudes de vie ! A noter également que le numéro 105 du journal « La Hulotte » est consacré à la chevêche d’Athéna – on y apprend plein de choses, et toujours avec beaucoup d’humour !
Really good! well done
Fankyou very mouche !
Splendide voyage en compagnie de ces belles créatures. M
Fille de 2 ans et 1/2 me
Demandait « une autre » à chaque photo, appréciant vraisemblablement cette découverte inattendue 🙂 merci Richard
🙂 Super, il n’y a pas d’âge pour admirer les beautés que nous offre la nature ! En voici d’autres, si elles en réclament : https://www.flickr.com/photos/richard-holding/
Chouettes !
Les photos sont magnifiques. J’apprécie en particulier le travail sur la lumière.
Merci Céline ! Ces petites chouettes sortent la plupart du temps en conditions de basse lumière, ce qui rend compliqué les photos d’action par exemple.
Bravo pour cette série d’images Richard et pour le récit qui les accompagne, c’est magnifique !
Fabuleux récit de cette belle rencontre avec tes voisines
Merci beaucoup Catherine !