Par une belle journée de décembre, fin 2024, je décide d’aller randonner au dessus du col de Rousset, dans le Vercors drômois. C’est un aller-retour au-dessus d’une falaise très impressionnante, qui offre des vues à couper le souffle plein sud. Je suis ici au royaume des vautours fauves, notamment, qui nichent par dizaines ; impossible de venir ici sans voir ne serait-ce qu’un seul de ces géants des cieux !

Pour profiter pleinement du spectacle, il faut tout de même grimper depuis le parking pendant une bonne heure. C’est toujours un régal de pouvoir être à hauteur de vautour, sans devoir se contorsionner pour les regarder passer au-dessus de soi. Aussi, l’avantage avec ces immenses planeurs, c’est qu’ils ne sont pas farouches pour un sou, du moins lorsqu’ils sont en vol. Avec un peu de chance, on peut même les voir passer vraiment tout près, à tel point qu’on peut entendre le sifflement du vent qui glisse sur leurs ailes gigantesques.

Parmi les autres oiseaux qui fréquentent ces lieux vertigineux, plusieurs représentants de la famille des corvidés habitués des milieux montagnards : grand corbeau, chocard à bec jaune et crave à bec rouge.

Côté mammifères, une petite population de bouquetins des Alpes s’est installée depuis quelques années dans une zone très abrupte, où il serait suicidaire pour un humain de vouloir s’aventurer ! Observer ces funambules des crêtes marcher avec tant d’adresse, aussi près du précipice, me donne toujours autant le vertige…

Les chamois aussi n’hésitent pas à adopter un comportement similaire. Il faut dire qu’ici ils ne risquent pas grand chose (à part une chute fatale !), il y a en effet peu de chances pour qu’un loup (seul grand prédateur présent ici) ose se risquer à une chasse au péril de sa vie…
Lors d’une précédente rando ici, en été, j’avais même eu la surprise de voir une marmotte se dorer la pilule à la pointe d’une corniche !

Peu de chances de croiser une telle créature en cette matinée de décembre, où je n’ai eu comme compagnie que quelques vautours pendant toute la montée. Arrivé sur l’alpage, le vent glacial me fait douter, mais il est encore tôt et je décide malgré tout de continuer. Je fais une première halte, au bord de la falaise, pour prendre une tasse de thé bien méritée.
D’autres vautours passent, mais il n’y a pour l’instant aucun autre rapace. En février de cette même année, j’avais pu admirer le vol si svelte et rapide du faucon pèlerin – le plus grand des faucons, mais à côté des vautours, ça reste un nain !

Je continue mon chemin, toujours en suivant le bord de la falaise. Plus j’avance, plus je m’éloigne de toute infrastructure humaine, et plus la nature paraît immense et sauvage – je me trouve, ici, à l’entrée de la plus grande Réserve naturelle de France, celle des Hauts Plateaux du Vercors, dominée par le Grand Veymont, la montagne la plus haute de ce massif avec ses 2341 mètres d’altitude.

A peine suis-je arrivé au point le plus culminant au-dessus de la falaise, le regard perdu dans cette vaste étendue, que la nature me fait don d’une magnifique surprise : en scrutant les bords de falaise aux jumelles, je remarque un grand oiseau qui n’a pas la même forme qu’un vautour fauve. Il me faut quelques secondes pour le réaliser, mais j’en suis vite convaincu : c’est un gypaète barbu !

Hélas, le temps que je m’en rende compte, le voilà qui s’éloigne sans s’offrir sous son plus beau jour pour la photo. Il est très loin, là-bas, mais au bout de 2 minutes seulement, le voilà qui semble faire demi-tour. Il vient vers moi !

C’est certain, il va me passer tout près… J’ai mis plus d’une heure et demie pour monter jusqu’ici, il est tout de même incroyable que ce gypaète ait choisi précisément ce moment pour venir me rendre visite !

De tous les vautours présents en France, le gypaète barbu est le plus rare. Persécuté jusqu’au dernier, l’espèce aurait pu totalement être éradiquée si une loi ne l’avait pas protégée dans les années 70 (comme de nombreux autres rapaces, d’ailleurs…)

Mais la protection ne suffit pas : il a fallu carrément réintroduire l’espèce pour éviter qu’elle ne disparaisse. Grâce à ces actions menées par des naturalistes passionnés – clairement l’un des plus grands succès de réensauvagement de ces dernières décennies – l’espèce est à nouveau nicheuse en France, et même dans le Vercors, depuis 2 ans.

Les gypaètes sont tellement rares en Europe qu’ils sont presque tous connus par leur prénom. Beaucoup de jeunes sont équipés de bagues voire même d’une balise GPS, avant leur envol, ce qui permet aux ornithologues de suivre sur la durée ces individus qui peuvent, pour certains, vagabonder à travers toute l’Europe.

Par chance, il se trouve que celui que j’ai au-dessus de moi est bagué ! Je ne le remarquerai cependant qu’en rentrant chez moi, en traitant les photos sur l’ordinateur.

Ce 2 décembre 2024, à 13h19, j’ai donc croisé la route de 3H… Mais qui est donc 3H ? Quelle est son histoire ?
Je décide de contacter Vautours en Baronnies, une association locale grâce à qui de nombreux vautours volent désormais à nouveau dans le ciel drômois, et même au-delà. Quelques jours plus tard, on me répond par e-mail : il s’agit de FORTUNAT, un mâle gypaète relâché en 2020, en Suisse. J’apprends que non seulement il est bagué, mais qu’il dispose également d’une balise GPS toujours en fonctionnement. Le site www.gypaetebarbu.ch me permet de signaler ma donnée et de vérifier les déplacements de l’oiseau. C’est en consultant la carte que j’ai pu confirmer qu’il s’agissait bien de lui, et qu’il se trouve (bien, visiblement !) dans le Vercors depuis plusieurs mois déjà.
Décidemment, après ma rencontre, en 2019, avec le rare vautour percnoptère (une histoire que j’ai racontée ici), cette splendide falaise me réserve, à chaque fois que je lui rends visite, de sacrées belles surprises !
Même les couchers de soleil, ici, semblent plus beaux qu’ailleurs… Jugez-en par vous-même 😉
