En ce début juillet 2019, la chaleur écrasante de la vallée de la Drôme a raison de moi. Ce n’est pas un temps à photographier la nature, mais à se calfeutrer chez soi volets fermés, ventilateur allumé, disque dur plein de photos à trier. Le tri des photos… c’est plutôt une occupation d’hiver, pendant les longues soirées sans lumière ! Le ventilateur du PC est surchauffe et la passion de la nature trop forte : sur un coup de tête, je prépare mon sac photo et décide de passer la soirée là-haut, dans le Vercors, à contempler le monde avec 10 degrés en moins. Aucun risque d’orage ce soir-là, je peux faire un bivouac au milieu des vaches, vue sur la forêt des Hauts-plateaux et la montagne du Grand Veymont.
Après trois quart d’heure de marche sans rien voir de particulier, il est 20h passés lorsque je remarque, au sommet des cairns qui jalonnent le chemin de randonnée, des passereaux nerveusement perchés : pinsons ? Rouge-queues ? Non : des traquets motteux !
Pour aller plus loin, je suis obligé de passer à côté d’eux. Je suis étonné de voir qu’ils ne sont pas franchement farouches, malgré leur petits cris aguerris : il y a plusieurs adultes, mais aussi au moins un juvénile. Ils me tournent autour, changeant de poste, et me laissent prendre quelques photos malgré la lumière déclinante.
Peu après, j’atteins enfin le sommet. Aucun mammifère en vue, mais un panorama à couper le souffle ! Le coucher de soleil n’est pas exceptionnel, néanmoins de belles couleurs violacées remplissent le ciel à l’heure bleu, là-bas au dessus de montagnes du Nord Vercors (c’est la photo qui illustre cette histoire*). Je choisis un emplacement discret pour mon petit bivouac, et m’endors avec une température très agréable d’une vingtaine de degrés, en me disant que j’ai bien fait de me bouger – rien que pour les traquets, je suis heureux !
4h30. J’en reviens pas : il fait noir, et les alouettes chantent déjà ! La voûte est encore étoilée, le croissant de lune peu éclairé. Je ne me rendormirai pas : à 5h, je me lève et m’asseois face au Grand Veymont, attendant la renaissance du monde à l’affût de tout son, de tout mouvement. Le tintillement des cloches de vaches semble se rapprocher, mais toujours pas d’animaux sauvages en vue. Alors je me concentre sur le lever du soleil. Mais je me rends compte qu’il va mettre du temps à apparaître : il est caché derrière la sommet du Vercors ! Tant pis pour la “sun star’ que j’avais prévu de photographier.
Je quitte mon campement et m’aventure un peu au hasard sur le plateau. Très vite, je remarque 3 grands rapaces un peu plus haut, qui tournent autour du sommet du télésiège : des vautours, à n’en pas douter. Je décide donc d’aller voir de plus près. En chemin, je tombe sur divers passereaux, dont un couple de linottes mélodieuses qui vient se poser à 4 mètres à peine de moi. Les oiseaux semblent vraiment moins farouches ici, je suis surpris ! Il y aussi que le jour vient à peine de se lever, les oiseaux ne sont peut-être pas encore très bien réveillés…
Un peu plus loin, je suis attiré par le chant d’autres oiseaux : à nouveau des traquets motteux ! Ce sont des oiseaux très agréables à photographier, car ils aiment bien se poster en évidence, sans trop bouger. Encore faut-il pouvoir s’approcher un minimum pour améliorer la composition.
A mesure que je grimpe, je m’approche des vautours qui font des cercles, puis disparaissent derrière l’horizon. Y’a aurait-il une charogne dans le secteur ? Mais tout à coup, j’ai une petite frayeur – je suis à quelques mètres d’un précipice ! Le panorama est à couper le souffle. Je comprends vite que les vautours doivent en fait nicher sur la falaise sur laquelle je me tiens debout.
Ce sont des vautours fauves – il y en a de plus en plus, à mesure que j’emprunte le sentier qui serpente à quelques mètres du vide. Quelques sensations de vertige me prennent tout à coup, lorsque j’aperçois, assez loin en contre-bas, un animal-funambule qui s’avance jusqu’à la pointe d’un rocher, avec du vide de chaque côté… Un bouquetin ! La première fois que j’en vois, depuis que je suis installé dans la Drôme. Il m’a l’air d’être jeune, ses cornes ne sont pas longues.
Les vautours sont de plus en plus nombreux, et m’offrent un formidable spectacle. Il y en a un, en particulier, qui vole juste au-dessus de moi – c’est limite effrayant, en fait : je suis à 2 mètres du rebord de la falaise, et j’ai un rapace d’une envergure de 2 mètres qui plane tellement près de moi que j’entends le sifflement produit par le vent au contact de ses ailes !
Je décide de m’asseoir dans l’herbe et de profiter de cet instant unique – jamais n’ai-je été aussi près d’un vautour libre et sauvage de ma vie ! En plus, je suis tout seul là-haut, pas un autre humain en vue… Et pour améliorer encore le tout, une nuée de petits missiles noirs me passe tout près avec un cri jamais entendu : des chocards à bec jaune ! Je lirai plus tard que ces corvidés montagnards sont très grégaires, et restent rarement tranquilles : un instant ils volent à toute allure dans le ciel, l’instant d’après ils sont tous posés dans l’herbe, à chasser des insectes, puis se remettent en vol, etc.
Grâce au vent contre lequel ils luttent, ils passent relativement lentement, ce qui me donne un peu plus de temps pour réussir une ou deux photos de cette espèce tout à fait inédite pour moi.
Toutes les conditions sont réunies pour que je passe un mémorable moment naturaliste, surtout que plus le temps passe, plus les vautours se comptent par dizaines ! Je crois bien en avoir vu beaucoup plus que lors de ma récente virée à Rémuzat, un site de nidification bien connu et fréquenté par de nombreux passionnés d’ornithologie et de photo animalière. Ils passent tantôt au-dessus, tantôt au-dessous, et m’offrent de bien belles opportunités photographiques. Certains sont même posés, à flanc de falaise. Un peu loin pour la photo, mais pas pour l’observation pure.
Et c’est à ce moment-là que je vois un oiseau un peu différent des autres, s’élever dans le ciel – tout blanc ou presque, légèrement plus petit que les vautours fauves… Un aigle botté ? Non, c’est bien un vautour, lui-aussi ! Je comprends vite qu’il s’agit d’un percnoptère, une espèce bien plus rare que les autres ! C’est l’extase, vraiment : il est un peu loin de mon objectif, et ne me laissera que 30 secondes pour l’immortaliser, mais pour une toute première observation, les photos que je ramène de cet oiseau si atypique m’enchantent tout à fait !
Et je ne suis pas au bout de mes surprises… Car quelques instant plus tard, c’est un faucon pèlerin qui surgit de nulle part – il a beau être le plus grand des faucons, il fait tout petit à côté des vautours ! Je parviens à le saisir pile au moment où il me passe au-dessus, me laissant voir toute la finesse de son plumage.
Et vous pensiez que ma matinée s’était terminée là-dessus… Une centaine de mètres plus loin, l’aventure se poursuit avec un drôle d’animal qui, un peu comme le bouquetin plus tôt, joue aux funambules sur la crête d’un morceau de falaise. Renard ? Putois ?… Rien de tout ça, une belle marmotte ! Tout doucement, elles s’avance jusqu’au rebord, puis regarde dans ma direction. Un drôle de comportement !
Puis je remarque un autre animal, à quelques mètres en dessous de la marmotte : encore un bouquetin. Non, deux – ah non, quatre ! Deux adultes et deux nouveaux-nés. Ils sont sur le côté ombragé de la falaise, la photo ne donnera rien. Jusqu’à ce que le mâle s’aventure lui aussi, quelques minutes plus tard, sur la crête de la falaise : cette fois-ci je suis plus proche, et l’animal bien éclairé !
Il doit être environ 10h du matin maintenant. Le soleil me chauffe la nuque, et déjà la lumière devient trop crue pour la photo, tout comme les ondes de chaleur, de plus en plus perturbantes pour la netteté des images. C’est donc l’heure pour moi de redescendre tranquillement, la tête pleine de souvenirs, les cartes mémoire pleines d’images.
Il me reste toutefois une dernière anecdote à vous raconter : plusieurs vautours semblent s’être posés en plein milieu de la prairie des vaches, à environ 300 mètres du chemin de randonnée. J’ai envie d’en savoir plus, il y a moyen de s’approcher un peu en profitant de l’ombre des arbres. Mon approche discrète me fait arriver à environ 100 mètres du groupe. Je ne vois pas la charogne, cachée par une butte, mais je comprends au son des cris étranges que que les rapaces sont tous là réunis pour leur petit-déjeuner. Les photos ne sont pas superbes, le soleil est trop fort. Mais quel moment, encore !
* Matériel et réglages pour la photo d’ouveture : Olympus Em1 mark2 & 40-150 f/2.8 à 95mm – f/2.8 – 1/15s – iso 800 – main levée
WoW, quel œil mon cher!
C’est tellement beau et ressourçant la montagne.
Je ressens la paisible contemplation, ça me fait du bien.
Merci
Que de belles aventures !
Merci Greg !
What a fabulous adventure!
What could have been weeks or months of waiting for the right moment all condensed into one exciting night. Superb photos.
Thanks for sharing……..;
Merci !
Joli récit ! Merci pour cet instant de quiétude rafraîchissant et bravo pour ces superbes images !
Merci beaucoup Sophie !
Bravo Richard
Tu nous fais encore rêver
Quelle matinée et quel plaisir de la partager
Merci Guy !
Magnifique 🙂
Merci beaucoup Richard de nous faire partager vos magnifiques photos et votre étonnante escapade… un véritable enchantement !
Merci Nadine, avec grand plaisir !
Tant que le photographe ne perturbe pas la faune, j’apprécie le talent.