Dans cet article, je vais vous raconter quelques belles émotions que j’ai vécues au cours du printemps 2018, dans les forêts euroises non loin de chez moi. J’ai passé une bonne partie de l’hiver, pendant mes moments de liberté, à parcourir de nombreuses parcelles pour repérer des loges, principalement de pics noirs. Le grand pic noir, avec sa calotte rouge et son oeil très brillant, est l’un des habitants ailés les plus majestueux de nos forêts, un régal à observer autant qu’à photographier.
Ma première « vraie » rencontre avec le pic noir, fut une journée de mai 2016, lorsque j’habitais le Loiret. Pendant de longues minutes, j’avais eu la chance incroyable d’observer une magnifique femelle qui allait d’arbre en arbre, dans la vallée du Loing, dans une zone clairsemée. Heureusement, en arrivant sur place, le pic ne m’a pas vu – je me suis donc dépêché de m’allonger par terre, et de ramper très doucement en direction de l’oiseau pour trouver un endroit dégagé où la prendre en photo.
Et comme si je n’avais pas eu assez de chance, tout à coup c’est un pic épeiche qui est venu se cramponner sur le même tronc que le pic noir – l’occasion de bien voir la différence de taille entre les deux cousins !
Le pic noir est le plus grand des pics européens (il mesure jusqu’à 46cm, et 73cm d’envergure !) et le plus bruyant (quand il crie et quand il tambourine), mais ce n’est pas pour autant le plus simple à trouver, du fait de l’immensité de son territoire. Aussi, c’est un spécialiste des loges factices, et qui réutilise peu d’anciennes loges. Un oiseau assez imprévisible donc, surtout qu’il vagabonde pas mal pendant l’hiver… Mais c’est justement en hiver que j’ai réussi à photographier un pic noir pour la deuxième fois de ma vie. Le 5 février 2017, pour être exact, dans le département de l’Eure, là où je réside actuellement. Ayant entendu son cri les jours précédant, venant d’un petit bois en bord de Seine, je décide de m’y rendre appareil photo en main. Je ne mets pas longtemps avant de le réentendre, et même de le voir… passer pile au dessus de ma tête ! Je parviens tant bien que mal à réaliser une photo, pas terriblement nette, mais qui permet immanquablement de reconnaître l’oiseau.
De la chance il en faut, assurément, mais c’est aussi une longue présence sur le terrain qui permet naturellement d’augmenter ses chances d’apercevoir ce bel oiseau forestier, si élégant mais si farouche… Depuis ces deux expériences vraiment émouvantes pour moi, je n’ai eu qu’une seule envie – revoir cet oiseau, et pourquoi pas directement à la loge, nourrissant ses petits ?! La magie de la photographie animalière, c’est que nos rêves peuvent devenir réalité… Mais il faut de la patience, de la persévérance… et de la chance !
Au cour de l’hiver 2018, j’ai repéré, je pense, une bonne dizaine de loges ovales dont deux parfaitement neuves, fraîchement creusées. Mais malgré de longs affûts, jamais à ces deux endroits n’ai-je vu pointer ne serait-ce que le bout d’un bec…
La chance, cette fois, n’est pas venue de moi, mais d’un ami lui aussi photographe, qui a découvert par hasard une loge de pic noir occupée, au tout début du printemps. Curieusement, la loge est située à un carrefour de chemins, où il y a (relativement) pas mal de passage, entre les randonneurs à pied, en VTT, à cheval, mais aussi les voitures des habitants, car oui, la loge est située tout près de maisons dans la forêt ! Pas le meilleur endroit pour installer son affût donc, sans éveiller la curiosité des gens de passage.
La première fois que je m’y suis rendu, j’ai observé la loge de loin, pour ne pas déranger, et je n’ai pas été déçu – le mâle s’y trouvait bien, montant la garde !
Par la suite, avec mon ami photographe, on y va à tour de rôle, on s’échange les infos, les horaires de présence, le comportement du couple de pics. J’attend plusieurs semaines avant de tenter un affût, car nous sommes encore au début du printemps et les feuilles ne sont pas suffisamment denses pour pouvoir se cacher. Le 21 avril, je tente un semi-affût, en gardant mes distances, m’installant discrètement derrière un buisson. Il me faut attendre assez longtemps avant de voir apparaître, enfin, la tête du pic noir mâle qui se trouvait bien à l’intérieur, et qui a juste sorti la tête quelques secondes par curiosité, ayant entendu passer deux personnes à cheval ! J’ai juste le temps de faire deux trois clichés, à travers les feuilles, en bénéficiant par chance d’un beau rayon de soleil.
Trois semaines passent. C’est qu’au printemps, il y a tant de choses à photographier, tant d’espèces à surveiller ! Le jeudi 10 mai, je tente enfin un vrai affût, en me cachant au maximum de la vue des pics mais aussi des humains, à quelques mètres du chemin… Si les pics sont en train de nicher, c’est un moment de grande fragilité, il ne faut surtout pas les déranger inutilement, et éviter qu’ils n’abandonnent leur nichée. C’est déjà étonnant qu’ils aient choisi précisément cette loge, qui est loin d’être l’endroit le plus tranquille de la forêt…
Cette matinée fut assez longue… Comme la dernière fois, le mâle n’a sorti la tête qu’une seule et brève fois, c’est-à-dire même pas trente secondes en une heure ! Mais la lumière est très belle, les feuilles sont bien vertes, et j’ai le temps de faire de beaux clichés.
Le mâle rentre au fond de sa loge. S’ensuivent à nouveau plusieurs minutes d’attente, avec comme distraction, un pic épeiche venu quelques instants donner des coups de becs dans un arbre juste devant ma cachette.
Puis un étrange cri d’oiseau, plaintif, qui me passe dans le dos de droite à gauche. Je n’avais jamais entendu ce bruit auparavant… Il est tout près, mais je ne vois de quoi il s’agit. Il se tait quelques minutes. Puis crie à nouveau. Et là, que vois-je, mais la femelle pic noir (je ne l’avais encore jamais vue !) qui se dirige vers la loge. Elle reste plusieurs instants devant, visiblement dans l’attente que Monsieur lui laisse la place. Lui, bien installé au fond, n’a visiblement pas très envie d’y sortir ! Mais le voilà qui s’envole. La femelle rentre dans sa loge. Elle n’en ressortira pas cette matinée-là.
Et la suite ? Eh bien malheureusement, il n’y en aura pas… On ignore ce qu’il s’est passé, mais après d’autres affûts tous infructeux les jours suivants, il apparaît que les pics on déserté leur loge, et que leur nichée a été un échec. Prédation par une martre ? Concurrence avec un pigeon colombin ? Dérangement humain ? Les explications peuvent être nombreuses. En leur espérant une meilleure réussite la saison prochaine !
Quand photographier les pics ?
Il y a deux périodes dans l’année favorables à la photographie des pics forestiers. L’hiver, quand les arbres sont nus, pics épeichettes, pic-épeiches, pics mars et pics noirs trahissent plus facilement leur présence, surtout à la charnière entre fin de l’hiver et début du printemps, lorsque les premières feuilles commencent à renaître mais restent suffisamment petites pour avoir une bonne visibilité, car c’est à cette période que les pics (mâles) marquent leur territoire à coup de marteau-piqueurs dans les troncs des chênes, pins, hêtres ou bouleaux. C’est aussi en hiver que l’on a le plus de chances de repérer les différentes loges, qui accueilleront de possible nichées au printemps.
La deuxième période est donc le coeur du printemps – en gros du 15 mai au 15 juin, lorsque les pics couvent puis nourrissent leurs petits. C’est cette période qui permet de saisir le plus de comportements différents, le tout dans des ambiances plus colorées qu’en hiver. L’un des principaux soucis, en revanche, c’est la faible luminosité caractéristique des forêts denses aux arbres pleinement reverdis. Mais certaines loges peuvent être très bien éclairées directement par le soleil à certaines heures de la journée, le tout est de les trouver !
> A lire aussi : « La sittelle torchepot, de la mangeoire du jardin à la loge forestière »
Merci Richard ! J’adore autant le récit que les photos, hâte du prochain épisode, bises
Merci Eugénie, voilà qui me fait bien plaisir !
Superbes photos (et jolie histoire dont on ne connaîtra pas la fin…)
Jusqu’à combien de temps peut durer un affût ?
Merci Mattou ! Un affût peut durer aussi longtemps qu’on a la patience de le faire durer… J’ai un peu de mal à faire durer au delà de 1h30, voire 2 heures… EN général, je m’arrange pour sortir aux bonnes heures, pour raccourcir le temps d’attente, mais le problème des pics noirs, c’est qu’ils sont assez imprévisibles. S’ils nourrissent une nichée, ce qui ne prend que quelques secondes, il faut attendre entre 1 et 2 heures avant le prochain nourrissage !
c’est à la fois amusant et passionnant de suivre l’enquête et presque l’investigation policière aussi détaillée. Il y a la fois qq chose du rapport policier avec des détails décortiqués avec précision et d’un autre côté une contemplation qui fait penser à celles de Rousseau ou de Jules Renard dans ses histoires naturelles que je te recommande. A quoi remonte cette passion pour l’observation du monde de la nature et cette activité quasi solitaire?
amicalement, Raymond
Merci beaucoup pour ce commentaire, Raymond ! Rousseau, je connais, Renard beaucoup moins, merci du conseil. Cela remonte, je pense, à mon enfance au « Sauvage », j’étais tout le temps fourré dehors dans le jardin, les bois, à construire des cabanes, observer la nature environnante… Solitaire, lors des sorties oui, mais mon plaisir est ensuite de partager mes expériences de terrain par l’image et le récit, d’où ce blog !
un régal, merci Richard, continue à nous enchanter avec ces photos magnifiques et à nous faire partager tes sorties naturalistes.
Marie-Anne Pottier
Un grand Marie-Anne !
J’avoue que je reste pantoise de votre patience… 😳
Je n’ai pas le quart du millième, même si j’ai la chance d’avoir un petit verger abandonné à côté de mon jardin qui m’offre le plaisir de voir merles et autres mésanges venir grignoter leurs cerises et prunes sur ma « pelouse »…🐦
J’aimerais vous avoir « sous la main » pour connaître les noms de tous les autres sociaux qui batifolent dans mon petit espace de verdure.
Merci pour tous ces clichés et ces histoires 😍
Merci Agnès !! Un petit verger abandonné… peut-être des petites chevêches alors, comme habitantes ! A surveiller 😉
Impressionnant de voir la différence de taille du pic noir et du pic épeiche sur une même photo ! J’adore aussi la photo du vol d’oiseau – magnifique. Bravo, Richy !
Danke Amely ! Oui, le pic noir est aussi grand qu’une corneille, toujours impressionnant à observer !